Notre parole

 

Éditoriaux / Humanitaire, humanisme, systèmes de soins & droits humains

 

 

 

 

L’ENFANT HOSPITALISÉ

Philanthropie, privatisation, pédiatrie, masturbation et hockey

2016

 

Par Jean-Francois Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 23 février 2016

 

J’étais de garde à l’étage depuis une semaine, jusqu’à hier matin. Beaucoup, beaucoup de travail. Tellement de vies à côtoyer. Depuis des semaines, Sainte-Justine déborde, vraiment.

 

L’urgence atteint des niveaux de fréquentation inégalés. Trop peu ou pas de services dans le réseau, 17 dollars de parking chez nous et 24 piasses au Children, des familles tricotées lâches, une complexité du tissu social, des pathologies chroniques ou extrêmes prolongées par la peau des fesses, bref la perpétuation d’un échec lamentable dans la dispensation démocratique des services.

 

Les hospitalisations déboulent. Et elles ne sont pas banales. Quelques jours à Sainte-Justine et vous révisez immanquablement tout votre Texbook de pédiatrie.

 

Une pensée pour elles, je ne les épargne pas, elles non plus, mais je les admire nos infirmières. Elles ont une force tellurique que les gestionnaires ne peuvent pas imaginer.

 

Dans les chambres, il y a des télés, des iPod, des iPad, des téléphones avec fil, des téléphones intelligents, ceux des parents, ceux des enfants. Et encore de la place, c’est heureux, pour la maladie et les soins.

 

À la tournée médicale, vous assistez à toutes les émissions du matin, par brides. Tout en mesurant une tension artérielle, vous prenez le pouls du monde.

 

Vous constatez qu’il y a l’air d’avoir pas mal de vent aux iles Fidji, encore des tireurs fous aux États et que Lise Payette a confondu pédophilie et homosexualité. Un jour, elle m’a déjà dit de me calmer, je ne pense pas que son récent dérèglement public m’aide à y parvenir.

 

Vous entrez dans la chambre, des parents ferment toute leur quincaillerie, d’autres continuent de parler à leur cellulaire. « Je repasserai ».

 

À la télévision, des voix de « Françaises » couvrent la quasi-totalité des émissions diurnes. Une petite d’origine haïtienne me fait mourir de rire. Elles les imitent toutes, la voix de la Française de Dora, celle de Downton Abbey, la même si ça se trouve. De l’interculturalisme, je suppose.

 

Des enfants pitonnent du matin au soir. Cela brise leur solitude, mais l’accès Internet en libre-service les expose à tout ce qu’on peut imaginer. Évidemment, si le parent ne se présente pas à l’hôpital de la journée, il n’y a aucune surveillance. Ce n’est pas un travail d’infirmière, elle n’est pas là pour gérer l’errance. Avant, nous avions des jardinières d’enfants pour occuper les petits et les distraire et les élever, au moins elles bricolaient, lisaient, chantaient. Elles ont été rayées du panier de services.

 

La semaine dernière, la télé généraliste présentait des émissions sur la masturbation. Il fallait voir la tête d’un petit de 7 ans écouter cela. On aurait pu croire qu’il faisait une réaction à nos antibiotiques. Non, il était rouge de honte. J’ai laissé la télé aller. Un message publicitaire informait mon patient qu’il ne fallait pas trop consommer d’alcool. Se masturber, oui, boire, non. La prévention, dit-on.

 

Ailleurs, moment de grâce ou de contrition : je me vois discuter à la télé tandis que j’examine un bébé encombré. Influenza? Adénovirus? Virus respiratoire syncytial? Sa mère me dit que je dois être le meilleur des docteurs parce que je passe à la télé. Je suis le meilleur, vrai…, mais parce que j’aime encore mon travail, que je ne peux plus supporter voir des confrères songer déjà à leur retraite, puis parce que j’ai décidé, comme d’autres avec moi, et de toutes les professions de santé, de rester debout, malgré tout ce qui ne tourne plus rond dans mon institution, et au-delà.

 

Je viens de dire un mot sur la jardinière. Elle aidait aussi autrefois à nourrir les enfants qui présentaient des troubles alimentaires. Chaque repas, elle se présentait à eux, les sécurisait, les apaisait puis tentait de leur offrir une bouchée en jouant, de la même façon, avec le même sourire prévisible. Pour remplacer ce lien ultime et salvateur, l’hôpital se targue maintenant de faire appel à des bénévoles. Rien contre elles, au contraire, que du pour. Mais les bénévoles changent chaque jour. Avec la meilleure volonté du monde, leur lien avec les enfants n’est pas celui des jardinières. Ce n’est pas leur premier rôle de nourrir à la semaine un enfant dont on suit chaque jour la prise de poids. Heureusement des préposés viennent à notre secours.

 

Partout, mais surtout dans les activités ambulatoires, l’état nous demande ou nous force dorénavant à faire appel de plus en plus aux ressources du privé, souvent excellentes, mais pas à la portée de tous, ou encore, plus pernicieux, au bénévolat ou à la philanthropie.

 

Le bénévolat, la charité, la philanthropie, tout cela a sa place, de taille, mais dans une certaine mesure, pour l’achat d’équipement hyperspécialisé par exemple, mais pas pour suivre le retard développemental d’un enfant, ce que la société devrait lui offrir d’office, et pas seulement à coup de subventions ou de guignolées.

 

Il y a maintenant un glissement dans notre système. Avec le privé, la philanthropie prend la place de l’essentiel. Évidemment, le ministère des Finances fait du coup de bonnes affaires. Chouette, cela fait des économies pour Paul. J’apprends d’ailleurs par la tablette d’un papa qu’on va collectivement financer un zoo. Le papa me demande ce que j’en pense. « J’adore les animaux ».

 

Ma semaine hospitalo-médiatique s’achève enfin par une nouvelle inspirante : un nourrisson installé sur sa mère dans les estrades reçoit un puck égaré de P.K. Subband. Pas de dommages. La fontanelle a bien encaissé le coup. Autrefois, jusqu’en 1965 au fait, on réalisait des baptêmes à l’hôpital Sainte-Justine, d’ailleurs là où j’ai été baptisé. C’était alors, et notamment, une façon indirecte d’encourager les naissances des petits Canadiens français. Aujourd’hui on baptise les bébés directement sur la patinoire des Canadiens.

 

Du pain et des jeux?

 

Non, 2016 oblige, des jeux, de moins en moins de pain.

 

C’est Lise Payette qui a « raison » finalement: les hommes ne valent rien.

 

En attendant, on continue.

 

Juste du bien de vous le dire.

 

SYSTEME DE SANTE

Coliques à Sainte-Justine

2015


Par Jean-François Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 16 décembre 2016

 

Ce texte n'engage que moi.

 

En quelques mois à peine, l’empire néolibéral a régurgité le projet social immanent à l’approche interdisciplinaire de la pédiatrie.

 

Après avoir égratigné les services scolaires, les services en garderie, et continué d’achever de nombreux points de service dédiés à l’enfance à risque, notamment en matière de troubles développementaux, sociaux et des apprentissages, le ministère de la Santé écorche maintenant, et sournoisement, Sainte-Justine.

Ce n’est qu’un début. Des milliers d’heures d’expertises évaluatives et de soins resteraient à rayer du panier de service. Le conseil d’administration nouveau, toujours pas en place, fusionne avec celui du CHUM. Son reliquat de pouvoir le priverait de ses capacités de budgétisation.

 

Plusieurs de ses membres seraient nommés par l’Empire.

 

Sainte-Justine, encore une institution?

 

La question se pose douloureusement devant la verticalité de la prise de contrôle en cours. À l'interne, nombreux sont ceux qui sont déstabilisés.

 

Nous disposerions au Québec d’un observatoire de la santé de l’enfance qu’il ne serait certainement pas confortable à l'idée de constater qu’une majorité des services thérapeutiques et évaluatifs ambulatoires de notre CHU mère-enfant dépendent dorénavant, et en grande partie, du privé et, ce, dans un univers où les CLSC et les écoles sont déjà fortement amaigris.

 

Message laconique de la direction cette semaine : « Jusqu’à ce jour, nous avons maintenu notre engagement de ne pas abolir de postes et nous avons le souci de ne pas avoir de bris de service et d’offrir toujours les meilleurs soins et services. C’est pourquoi la décision de mettre fin à des remplacements est une décision réfléchie de gestion courante des ressources humaines. Nous comptons sur votre collaboration et votre soutien. »

 

Collaborer?

 

Comment pourrais-je collaborer alors que j’ai besoin d’ergothérapeutes, de physiothérapeutes, d’orthophonistes, de psychologues, de travailleurs sociaux, de neuropsychologues pour mener à bien des diagnostics à parachever dans la collégialité?

 

Comment ainsi répondre aux besoins du réseau à qui je suis redevable?

 

Aujourd’hui mercredi, à l’hôpital, des psychologues et des travailleurs sociaux brandissaient avec beaucoup de délicatesse leurs messages de désarroi. Qu'ils trouvent dans ce texte le signe de mon total appui.

 

Une mauvaise langue me dit à l’oreille que la productivité professionnelle des exclus aurait été trop basse et que c’est ce qui aurait permis à l’administration de les jeter avant Noël. Bref, la rumeur n’est pas toujours un cadeau pour celui qui le reçoit.

 

Parents, sachez que je me dissocie personnellement de ces incompréhensibles coupures.

 

Journalistes, s’il vous plait, désolé de vous le dire, mais lâchez un peu vos guignolées caritatives et fouillez donc ce vrai sujet en rapport avec le développement durable de l’enfance.

 

Les Jedi ont besoin de vous pour explorer un nouvel obscurantisme.

 

Il s’agit de protéger des enfants et leurs familles.

 

Et ce pourrait n'être que le premier épisode d’une très longue série.

 

ROMS
Droits humains: les Roms à Paris

2015

 

Par Jean-François Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 3 novembre 2015

 

Il y a dorénavant une misère dans Paris dont je n'ai pas l'habitude.

 

Je connais pourtant bien Paris la nuit pour y avoir travaillé deux années au SAMU. Je connais ses itinérants, ses suicidés, ses abandonnés de la vie. J'y ai déjà récupéré un bébé dans une poubelle avec son cordon ombilical tout chaud.

 

Avec les années, en entrant sur la ville, j’ai remarqué comme tout le monde les campements Roms qui y poussent comme des champignons sauvages.

 

Comme voyageur ou professionnel de passage, je me suis habitué à l’errance de ses familles ou à la petite criminalité de circonstance prévalente dans les lieux touristiques. À cet effet, Paris est un peu devenu Barcelone. Ici et là la police tente d’intervenir, comme sur cette photo prise dimanche dernier, telle une aiguille dans une botte de foin.

 

Mais là, ce sont des familles entières qui dorment sur les trottoirs des boulevards. Des enfants de 4 ou 5 ans, plus ou moins recouverts de draps, plus ou moins incorporés dans des cabines téléphoniques. Je n’avais jamais vu cela, pas ici en tout cas.

 

Certains quêtent, d’autres restent collés sur le ciment avec des airs de pitié vraie et de pitié feinte. Des passants s’arrêtent, d’autres semblent vouloir contacter des associations. Des petits braillent, la morve au nez.

 

Et ils sont là par dizaines, par centaines. Mes amis parisiens les voient, ne les voient plus. Ils en souffrent. Je force le sujet, la discussion, le débat. Ils en souffrent vraiment, c’est clair. Mais comment faire?

 

Comment se fait-il que dans le pays des droits humains, le cœur de la ville arrive à tolérer autant d’enfants en détresse et en état de négligence patente?

 

Des chocolateries à mourir de beauté qui côtoient des enfants en état de survie, ce serait cela le socialisme? Évidemment que non.

 

Le chaud-froid français est celui qui menace toutes les sociétés. L’argent des citoyens, l’argent des taxes, l’argent à partager ne servent plus à l’autre, à l’indigent, à l’enfant à risque, à l’handicapé. Il sert au système, au fonctionnaire, à la machine administrative et étatique. Il part ailleurs, en toute impunité.

 

Chaque jour au Québec, je dois priver des enfants de soins de santé et d’éducation parce qu’il n’y aurait plus d’argent dans le système. Mais s’il n’y a plus d’argent pour cela, pour l'essentiel, pourquoi y en aurait-il pour quoi que ce soit d’autre? Bombardier en premier, c’est la sombre évidence.

 

Le petit Rom qui traine la nuit sur le boulevard St-Germain n’est finalement que la vision futuriste de l’enfant mal soigné et mal scolarisé de demain. Mais c’est aussi, et pourtant, un Enfant, pas qu’une symbolique pour discourir.

 

Avec ses relents moyenâgeux, Paris, avec une longueur d’avance finalement, donne le ton à la prochaine grande noirceur kafkaïenne.

 

Je suis mal, vraiment très mal devant cela.

 

Denis Villeneuve, en attendant du meilleur, je suis prêt pour Blade Runner deux.

 

 

PÉDIATRIE INTERNATIONALE

Coup d’œil sur la malaria ou paludisme

2015

 

Par Jean-François Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 3 octobre 2015

 

C’est de malaria (ou paludisme ou « palu » pour les intimes) que souffrent ou meurent encore des millions d’enfants dans de nombreuses régions du monde, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est. Afrique subsaharienne : Nigéria, Tanzanie, Rwanda, etc. Asie du Sud-Est : Laos, Cambodge/Kampuchéa, Birmanie/Myanmar, etc. On retrouve aussi la malaria en Océanie et en Amérique centrale et du Sud. Il y a de la malaria dans les caraïbes, à Haïti, en République Dominicaine, mais pas en Martinique, ni à Cuba.

 

Dans une centaine de pays, assurément, on souffre de paludisme. On dit ces régions « impaludées », c’est comme ça qu’on dit.

 

Avec les migrations, les voyages, les allers-retours dans les pays d’origine, la malaria se retrouve occasionnellement, mais de plus en plus, aux urgences et aux cliniques et dans les lits d’hôpitaux de nombreuses régions de la planète autrefois épargnées. Nombreuses régions de la planète autrefois épargnées : France, Canada, Québec, États-Unis, Belgique, etc. On estime à au moins 10,000 le nombre annuel de voyageurs infectés chez qui la malaria va d’ailleurs se faire particulièrement virulente en raison de leurs vierges immunités.

 

Personnellement, je demeure toujours fasciné par le diagnostic de palu chez un réfugié ou un touriste alors qu’on se les gèle vraiment beaucoup dehors. Pour les habitants du Nord ou de l’Ouest ou des grands froids, la malaria se fait en quelque sorte le lien concret avec les tropiques, et ses souffrances. Tout ne peut pas être virtuel, et c’est heureux comme cela.

 

Un protozoaire, un parasite, un « alien », du nom de Plasmodium falciparum ou de Plasmodium ovale ou de Plasmodium vivax ou de Plasmodium malariae ou, pour finir, de Plasmodium knowlesi est le grand responsable de la maladie. Plasmodium falciparum est en tête de liste, car on lui doit les infections les plus sévères et mortelles, tout particulièrement chez les plus jeunes, les victimes non encore immunes et les femmes enceintes pour qui l’accès palustre est « murder ». Plasmodium knowlesi est à la queue, car il infectait jusqu’à récemment plus souvent des singes malaisiens que des hommes. Malheureusement, il se répandrait.

 

D’ordinaire, la malaria est transmise par la piqure d’un moustique femelle de type anophèle. La petite bête pique tard en soirée et au cours de la nuit. C’est une piqueuse nocturne.

 

D’autres manières d’infections sont possibles. Le bébé peut acquérir le paludisme via le placenta et sa mère infectée. Une transfusion sanguine est capable de transmettre la maladie ainsi que les seringues et les aiguilles contaminées.

 

Une fois pénétré dans le corps humain, le parasite gagne les cellules du foie, ou hépatocytes, ou il séjourne et prolifère avant de retourner à la circulation sanguine pour finalement s’infiltrer dans les globules rouges et provoquer l’hémolyse et les dites crises malariques en faisant littéralement éclater les cellules sanguines.

 

Selon les espèces, falciparum ou vivax par exemple, il va s’écouler entre une semaine et trois mois entre la piqure par l’anophèle et la détection du parasite dans le sang.

 

L’intervalle peut même s’allonger si la victime n’en est pas à son premier palu ou si elle prend des médicaments pouvant avoir masqué l’infection, comme des antibiotiques ou des médicaments en prévention de la malaria.

 

Dans les premiers jours de la maladie, on dirait une « petite » grippe : fièvre légère, douleurs musculaires, maux de tête et malaise généralisé.

 

Puis s’installent de vrais accès de fièvre, avec frissons et sueur. Les poussées de fièvre épousent un rythme spécifique à l’espèce de plasmodium, aux 48 heures avec le vivax, aux 72 heures avec le malariae, avec une périodicité beaucoup plus rare avec l’espèce falciparum, par ailleurs la plus virulente. Nausées, vomissements, diarrhées, douleurs au ventre, voire des convulsions chez l’enfant accompagnent la fièvre et les autres symptômes. Le foie et la rate sont augmentés de volume. La victime est pâle, anémique, presque jaune, de la jaunisse étant possible. Ici l’infection rentre dans l’ordre spontanément, est guérie par de la médication ou se complique dangereusement.

 

Les complications graves se retrouvent habituellement avec le falciparum, occasionnellement avec le vivax. Parmi les inquiétudes de taille, le neuropaludisme caractérisé par une altération de l’état de conscience due à la séquestration des globules rouges dans les veinules du cerveau, puis un délire, voire un coma et le décès, dans 20 % des cas en pareilles complications; l’œdème aigu du poumon, l’insuffisance rénale, une anémie majeure, une baisse grave du sucre dans le sang, un abaissement des globules blancs, une hausse des enzymes du foie, des troubles de la coagulation sanguine ainsi qu’une destruction continuellement massive des globules rouges dite fièvre hémoglobinurique. La rate alors engorgée par le travail peut rompre spontanément ou, bêtement, lors d’un examen clinique.

 

Partout dans le monde infesté, le risque de contracter la maladie va varier. Dans des pays, plus que d’autres, en basse altitude ou en région rurale où les piqures à l’anophèle sont plus fréquentes.

 

L’accès aux mesures préventives est déficient pour les enfants et les ados et leurs parents dans le monde.

 

S’impose pour les voyageurs, et plus que jamais, la liste d’épicerie pour prévenir les infections transmises par les moustiques : port de vêtements de couleur claire, pantalons longs, utilisation judicieuse de lotions insectifuges efficaces et d’insecticides, emploi de moustiquaires imprégnées de perméthrine ou de deltamétrine, air conditionné la nuit, et ainsi de suite, avec, incontournable, la prise de médicament en chimioprophylaxie.

 

C’est une chance unique pour les touristes ou voyageurs ou coopérants d’avoir accès à des médicaments préventifs. Alors, de grâce, ne nous plaignons pas de la contrainte, ni en personne ni sur la twittosphère. Plusieurs choix pharmaceutiques sont disponibles, même pour les enfants, selon les destinations, les styles de voyage ou les quelques effets secondaires à prévoir ou préalablement constatés lors d’essais antérieurs. Sans médication préventive contre la malaria, l’exploration devient dangereuse. Il faut le dire.

 

Des cas de palu sont de nouveau rapportés dans des sites touristiques de la République dominicaine. Rien de comparable en matière de risque avec les voyageurs en Afrique subsaharienne ni avec les habitants des pays impaludés.

 

Mais tout de même de quoi nous rappeler que nous sommes tous sur la même planète. Avec les mêmes droits, malgré les iniquités.

 

Mais dans l’inégalité, rien de plus certain.

 

HUMANISME

La compassion et notre sélection naturelle

2015

 

Par Jean-Francois Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, novembre 2015

 

Le cerveau humain existe depuis environ 200,000 ans.

 

6 à 7 millions d’années avant, le cerveau de la sémillante Lucy (la « Lucy in the sky » des Beatles) fait environ 400 grammes, guère plus. Ce n’est pas beaucoup, sans compter le poil.

 

Mais cela semble bientôt suffisant pour favoriser la bipédie. Allez debout les « de moins en moins singes »! Tant qu’à ne pas être encore de vibrants intellectuels, aussi bien bouger… En 2005, Zollikofer, dans la revue Nature, fait ainsi coïncider le début de la marche en position debout avec l’apparition de la savane. L’écosystème permettrait la fonction de l’organe.

 

3,5 millions d’années environ avant le cerveau humain, celui de l’Australopithèque fait 450 grammes. C’est 50 grammes de beurre de gagner!

Selon Villmoaere, dans la revue Science de 2015, c’est 2 à 3 millions d’années avant nous que ce serait enfin distingué le cerveau de plus en plus volumineux du genre homo, d’abord celui d’Homo Habilis en Afrique, puis celui d’Homo Erectus qui va transiter vers l’Europe avec un bon 900 grammes dans sa boite à poux.

 

Pour le paléoanthropologue Pascal Pick, le bagage amélioré de l’espèce lui permet de s’affranchir des arbres, d’utiliser des outils, de faire du feu et de faire l’opportuniste, bref de s’installer pour durer.

 

300,000 avant le cerveau humain, il y a environ 500,000 ans donc, parmi les descendants d’Homo Erectus se distinguent des lignées.

 

La nôtre, d’abord, celle d’Homo Sapiens avec son illustre représentant : Cro-Magnon, environ 1650 grammes de cerveau, 15 % de plus que le nôtre actuellement. Puis, Néandertal avec ses 1600 grammes. Enfin d’autres cerveaux, des Denisoviens, des Homo Neandersapiens, depuis qu’on sait qu’homo sapiens a couché avec Neandertal & des Homo Denisoviens.

 

200,000 avant nous apparait le véritable cerveau humain avec ses 1500 grammes de matière blanche et grise. Il a perdu un peu au poids, mais son cortex frontal s’est relativement beaucoup développé. S’il était déjà doué d’entraide, comme d’autres espèces animales, voire même d’une certaine empathie, comme certains mammifères aujourd’hui, pour une première fois sur terre sa spécificité anatomique va lui permettre d’exercer la compassion.

 

Engraisser et faire fructifier les aires dorso-latérales et orbito-frontales, un gage pour la compassion. La compassion, comme critère issu de la sélection naturelle? C’est une grande question à laquelle plusieurs chercheurs actuellement souscrivent, ce qui ravive l’importance du développement affectif à travers la confiance aux autres puis la conscience de soi comme base incontournable du fait humain et de tout ce qui s’en suit.

 

Il y a de cela 35,000 ans finalement, Neandertal disparait au profit d’Homo sapiens. Nous devenons donc la seule espèce connue capable avec nos 1500 grammes de cerveau d’empathie affective et cognitive, de compassion, de jugement et de morale.

Et on voit ce que ça donne!

 

Vous auriez dû voir les os brisés par sa mère d’une petite fille que j’ai vue en consultation aujourd’hui…Des membres, comme une colonne de Palmyre.

Question donc : de combien de grammes de cerveau plus avons-nous besoin pour actualiser la grandeur du fait humain?

 

Combien faudrait-il peser du haut pour que l’importance des liens d’attachement soit enfin saisie par l’ensemble de ceux qui seraient génétiquement programmés pour exercer de la compassion, mais qui n’arrivent pas à l'exprimer par la pleine capacité de leurs chromosomes ?

 

Le poids n'est pas la mesure

 

HUMANITARISME

Haïti 11 janvier 2010: le syndrome Kosovo

2010

 

Par Nago Humbert, Président de Médecins du Monde Suisse, Suisse/Québec, Canada

Extrait de : Le temps, Suisse, mai 2002/ Québec, 2010/ avec son aimable autorisation

 

En ce 11 janvier 2010 la situation sociale et sanitaire du pays est très préoccupante : le taux de mortalité materno infantile est l’un des plus élevés au monde, un quart des enfants présente une insuffisance pondérale à la naissance, l’espérance de vie est de moins 60 ans, le système de santé est totalement défaillant ( 60% de la population n’a pas accès aux soins de santé primaire), la moitié des enfants fréquente l’école primaire et 18 % le secondaire, la situation écologique due à une déforestation incessante est catastrophique, sur le plan social et économique le taux de chômage atteint 80 %, 60 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté avec 1.25 dollar par jour, sans parler d’une fonction publique sous payée ( quand elle l’est) et par conséquent inefficace, une insécurité endémique et finalement, un gouvernement qui a perdu la confiance du peuple désespéré par tant de promesses non tenues.

 

Pour résumer brutalement la situation en ce 11 janvier 2010 en Haïti : les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres si c’est possible d’être plus pauvre qu’un haïtien pauvre. Car ceux qui ont les moyens de pouvoir changer quelque chose à ce tsunami permanent, selon les paroles du ministre des Affaires étrangères du Brésil en 2004, n’ont aucun intérêt à ce que la situation change. En effet, ils vivent dans des maisons cossues sur les hauts de Port au Prince, possèdent des génératrices qui les protègent des pannes fréquentes d’électricité, roulent en 4X4 sur des routes non carrossables, vont se faire soigner dans des cliniques en Floride, envoient leurs enfants dans des collèges privés aux États-Unis et, en plus, ils ne paient pas d’impôt.

 

Quant à ceux qui ont eu la chance d’acquérir un niveau d’éducation supérieur, les médecins (où sont la centaine de médecins qui sortent des facultés de médecine chaque année?), les enseignants, les ingénieurs, ceux qui désirent rester pour servir leur peuple sont des héros, les autres ne rêvent que de partir gagner leur vie en Amérique du Nord. Mais qui sommes-nous pour les blâmer ou juger leur choix de vie, alors que nous sommes des privilégiés parmi les plus privilégiés.

 

Des centaines d’ONG

En ce 11 janvier 2010 des centaines d’ONG se substituent à l’État défaillant, 90 % des soins de santé est prodigué par des organisations non gouvernementales ou des institutions privées et ce n’est pas plus brillant dans le domaine de l’éducation où cette absence d’État fait le " bonheur " entre autres des églises évangéliques américaines.

 

Le lendemain de ce 11 janvier, un violent séisme frappe la capitale et ses environs faisant 250.000 morts, environ 300 000 blessés et plus de 1 million de sans-abri.

 

En ce 11 janvier Médecins du Monde Suisse, seule ONG médicale présente depuis 12 ans dans la région goâvienne, continue son travail d’appui aux dispensaires ruraux du Ministère de la Santé et des populations dans le domaine de la santé primaire, de la santé materno-infantile et de la malnutrition infantile.

 

Le lendemain nous ne serons plus seuls, une déferlante d’ONG plus ou moins professionnelles va occuper le terrain sans coordination digne de ce nom. Le chaos qui va suivre ne sera que le reflet de l’absence d’État du 11 janvier 2010. Et comme le dit le représentant de l’OEA Ricardo Seitenfus, limogé le lendemain, dans un entretien avec Arnaud Robert (Le Temps 21.12.2010): "Haïti s’est transformé en lieu de passage forcé pour les ONG transnationales. Et Haïti ne convient pas aux amateurs. Il existe une relation maléfique ou perverse entre la force des ONG et la faiblesse de l’État haïtien. Certaines ONG n’existent qu’à cause du malheur haïtien ".

 

L'effet compassionnel

C’est ce que je nomme le "syndrome Kosovo": l’événement catastrophe relayé par les médias, crée l’effet compassionnel qui crée le besoin humanitaire qui provoque l’effet générosité qui produit des fonds à disposition qui finalement créent des ONG qui disparaîtront dès que la source sera tarie et que les projecteurs seront éteints. Nombres d’entre elles et pas des moindres ont fait les frais du syndrome Kosovo à la fin des années 90.

 

En ce 11 janvier 2010 nous nous posons la question que nous nous posons chaque début d’année en Haïti depuis 12 ans : comment continuer notre appui aux maigres structures étatiques en prévoyant un retrait planifié pour ne pas continuer cet humanitaire de substitution et passer d’un humanitaire palliatif à un humanitaire curatif. C'est-à-dire sortir de ce paradigme infernal : si on part on abandonne une partie de la population de la région goâvienne et si on reste on devient l’oreiller de paresse du gouvernement qui ne fera pas les efforts nécessaires pour nous remplacer.

 

Le lendemain le séisme frappait, puis des mois plus tard le choléra, ce qui au lieu d’entrevoir une perspective de sortie a au contraire amplifié notre présence donnant l’impression que les ONG prenaient le pouvoir en Haïti. Mais quel pouvoir ? Celui de soigner à la place de l’État.

 

Alors un an après le 12 janvier, et comme si le 11 janvier n’avait pas existé, les critiques contre l’ONU et les ONG fusent dans les médias de la part des Haïtiens, ainsi que de voyageurs de passage comme le syndic de Nyon qui a surtout vu des humanitaires attablés dans des bistrots de Pétionville, leur 4X4 stationné devant la porte.

 

Et surtout, on oublie les promesses non tenues des bailleurs internationaux et des États lors de la conférence de New York. Sur les de 10 milliards de dollars pour " reconstruire en mieux " selon l’expression de Bill Clinton, seuls quelques centaines de millions ont été décaissés.

Oui c’est un scandale.

 

Oui, c’est un scandale que des centaines de millions de personnes soient encore sans abri, un an après le séisme, oui c’est un scandale que plus de 90% des soins de santé soit dépendants des ONG ou d’institutions privées. Sans nier les errements de certaines ONG ou certains comportements d’acteurs humanitaires, on fait encore une fois la même erreur que pour d’autres situations de crise, Gaza par exemple, on les traite comme un problème humanitaire alors que le problème est d’abord politique.

 

Car si le problème de la non-gouvernance et de sa principale conséquence, l’absence d’interlocuteurs étatiques ne sont pas réglés, que les promesses faites en matière de reconstruction ne sont pas tenues, qu’une nouvelle catastrophe naturelle advienne, alors malheureusement pour l’avenir de ce pays, les ONG comme Médecins du Monde devront continuer de lutter pour favoriser un accès aux soins de santé aux populations les plus défavorisées.

 

Et finalement, constater avec Jean-Christophe Rufin (Le Monde 21.12. 2010) que " l'humanitaire n'est pas efficace sur le fond des problèmes. Peu importe que ce ne soit ni sa vocation ni son mandat : les espoirs qu'il a suscités ont généré des attentes auxquelles il est incapable de répondre ".

 

 

HUMANISME

Y a-t-il encore de la place pour l’humanisme en médecine?

2007

 

Par Zoé Brabant, infirmière humanitaire

Avec Le monde est ailleurs, Montréal, Québec, Canada

Extrait de services vie.com / Trancontinental

29 octobre 2007

 

Infirmière, Zoé Brabant a effectué de longs séjours humanitaires en Iran, au Sri Lanka, au Zimbabwe, en Haïti, au Nicaragua et en Afghanistan.  Elle a raconté les huit mois qu’elle a passés dans ce dernier pays dans « Les carnets de Zoé », paru aux Éditions Saint-Martin. Elle travaille régulièrement au Nunavik, auprès des populations Inuit. Elle nous livre ses impressions sur la médecine d’ici, après son expérience de la médecine de « là-bas »…

 

« Est-ce que votre travail à l’étranger a changé votre regard sur la santé d’ici ? » Question posée par bien des journalistes à l’humanitaire en moi, fraîchement débarquée d’Afghanistan, des côtes de l’Océan Indien ravagées par le tsunami ou de l’Afrique profonde.

Après toutes ces expériences, comment mon regard pourrait-il être demeuré le même ?

 

D’un monde où la petite clinique du village est souvent le dernier recours, où les médicaments de base font cruellement défaut, où le mot nosocomial est absent du vocabulaire tant les infections et le manque d’hygiène sont omniprésents. Où ma peau blanche me donne des allures de magicienne, où le simple fait d’être venue de si loin pour aider semble un baume au cœur des gens, où on baisse bien trop souvent les bras devant une maladie pourtant facilement soignable…

 

… à un monde où les progrès de la médecine permettent d’étirer la vie, où l’escalade de la technologie n’a pas de limites, où l’on attend tout, y compris l’impossible, d’une médecine qui s’essouffle. Où les coûts faramineux des soins de santé grimpent d’année en année, où la critique est sur toutes les lèvres et la fatigue plein les bras.

 

Tout cela conditionne le regard, bien évidemment.

 

La super-médecine… est fatiguée!

Après plus de deux années d’absence, partie dans le Grand Nord et à l’étranger, j’ai enfin remis les pieds dans un hôpital de Montréal. Me revoilà infirmière de département. Tournées matinales, tonnes de médicaments aux noms prometteurs, je me suis retrouvé au cœur d’un grand ballet de médecins spécialistes, physiothérapeutes, et autres istes et eutes où je devenais courroie de transmission entre un malade et un système de santé tentaculaire…

 

Est-ce la coupure dans le temps qui m’a permis de prendre du recul sur ce qui se passe chez moi, ou le contraste entre la médecine d’ici et celle d’ailleurs qui change mon regard ? Je ne saurais dire. Reste que je vois les choses autrement aujourd’hui.

 

Mes collègues me semblent fatiguées. Les relations sont tendues dans l’équipe. Il manque encore une infirmière pour le quart du soir. Impossible de trouver une chambre simple à Monsieur X, qui approche pourtant du Grand Départ. Et moi qui peine à trouver ce moment essentiel pour parler à sa famille.

Et si nous étions en train d’omettre le principal, tant nous sommes occupées à courir ?

 

Oui, travailler là où il manque de tout, réellement, m’a fait retourner vers l’essentiel. Et il est là, l’essentiel : dans ce contact humain. Or je suis confrontée ici à une médecine qui se sophistique au détriment du temps passé avec l’Autre. Qui prône l’usage de technologies nouvelles ultracoûteuses, mais sabre le côté humain des soins. Et si c’était plutôt l’écoute, le contact particulier, le mot approprié qui dans certains cas soignaient bien mieux ces malades ?

 

S’il arrivait que mon grand-père ait besoin de soins de pointe pour le traitement d’une pathologie rare, ou qu’un test diagnostique coûteux soit requis pour éliminer une maladie héréditaire chez ma sœur, je voudrais certainement le meilleur pour ceux que j’aime. Rien de plus normal, de plus humain. Mais en tant que société, est-ce là le meilleur choix que l’on puisse faire ? Pourquoi une machine à résonance magnétique de plus, alors que si peu est consacré à la prévention ? Ne pourrions-nous pas nous offrir les deux?

 

Et si des considérations politiques, logistiques ou financières brouillaient notre sens des priorités ?

Que dire aussi du développement parallèle, parfois même paradoxal, des technologies utiles au maintien de la vie d’un côté, et des soins palliatifs de l’autre ? La disponibilité d’une ingénierie de pointe, la peur de poursuites judiciaires, le désir bien normal de vouloir garantir les meilleurs soins à chaque individu poussent parfois notre médecine à s’acharner contre la mort. Acharnement thérapeutique en fin de vie. Or au même moment le tabou de la mort s’atténue et une conscience humaine incite l’avancée d’une médecine palliative, qui toutefois réalise son œuvre trop souvent dans l’ombre. Et si à tant vouloir empêcher les gens de mourir, on négligeait parfois l’importance de leur accorder un départ serein ?

 

Notre médecine accomplit pourtant de grandes choses. On lui doit une longue espérance de vie. Les médicaments sont à même de soigner bon nombre de pathologies infectieuses. Des maladies autrefois considérées incurables ou létales sont maintenant bien mieux contrôlées, ou même traitées. Il ne faut pas lever le nez sur ce qui est positif dans cette médecine évoluant à la vitesse grand V. Seulement prendre un peu de recul, peut-être s’arrêter un moment pour regarder ce que nous sommes en train de faire.

 

L’apport humain

Une médecine qui se déshumanise. N’ayons pas peur des mots. Elle gagne en molécules pharmacologiques complexes, en stainless steel, en rayon X, en champs magnétiques, mais elle perd en contact de la peau, en chaleur humaine, en paroles, en regards aimants.

 

Cependant, il ne faudrait pas passer sous silence les gens extraordinaires qui œuvrent dans ce grand manège. Gens de cœur qui savent défendre les intérêts de leurs patients, qui se défoncent corps et âme pour apporter quelque réconfort à ceux qui en ont besoin. Oui, les soignants ici et au loin, dans leur grande majorité, perpétuent encore et toujours de petits miracles dans un système qui leur en donne de moins en moins le loisir. Et continuent de croire non seulement en la science, mais en l’art de soigner.

 

« Vous qui coordonnez des équipes médicales parties aider les populations victimes de catastrophes naturelles, quel est votre premier mot pour eux à leur arrivée ? », demandent encore les journalistes.

 

Ma réponse : Vous qui êtes venue sauver des vies, empêcher l’intolérable, protéger la veuve et l’orphelin, sachez que souvent, là ne sera pas votre rôle. Vous êtes avant tout ici pour soigner ces petits maux de tous les jours, pour montrer aux gens de ce pays que la planète se sent concernée par ce qui leur arrive, pour toucher, écouter et consoler. Pour remplir le côté humain de votre fonction de soignant. Pour être là.

 

 

FAIM DANS LE MONDE

Nourrir son prochain

2006

 

Par Jean-Francois Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 2006

Adapté de Nourrir son prochain / Poor Diets the result of unawareness, not economic.  

Prescription Nutrition; II  (3) : 273-278, 2001

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Photo LMEA: Enfants, Bamako, Mali 2002

 


Des millions d’enfants vivent maintenant dans la pauvreté absolue et sans accès facile au grenier alimentaire, aux veaux, vaches, cochons… zinc et sélénium. La faim chez nous, le marasme ailleurs : 42 % de malnutrition protéino-énergétique en Asie, au-delà de 27 % en Afrique et une augmentation en flèche en Europe de l’Est.  La statistique est pesante, mais jamais vaine; tant que l’intellectuel la lui sert, la statistique est gastronomie pour le pauvre.

 

Trop d’enfants pauvres mangent de travers, d’autant plus qu’il y en a des riches qui mangent à l’envers.  Dès leur vie utérine, ils sont nombreux à accuser des retards de croissance. Petits poids. Petites tailles. Petites immunités.  Pire encore, sur les percentiles, leurs circonférences crâniennes n’ont pas le coffre nécessaire. Un enfant sous nourri est à risque de sous performance et de malheurs en vue.  La garderie éducative pour grandir tout de même, l’orthopédagogue pour apprendre les maths tout de même, l’aide à l’emploi pour éviter le chômage tout de même, etc., le cycle des béquilles est sans fin quand l’enfant n’est pas mort de faim.

 

Point de salut

Point de salut non plus hors du sein maternel.  Point de sein justement : l’allaitement fait pauvre. Il n’est pas toujours facile de le promouvoir. On dit du substitut au lait de mère qu’il a ses qualités parce qu’il ne les a pas toutes décidément.  Insistons tant qu’à faire pour que la préparation lactée soit supplémentée en fer et qu’on en ait assez à donner jusqu’à l’âge de s’asseoir ou mieux, jusqu’à l’âge de marcher.

 

L’enfant pauvre est nourri à la calorie, pas à la cuillère. Son biberon est gorgé de jus et de lait.  Il sent le sûr et la pomme à chevreuil. La petite céréale enrichie, la petite courge surgelée, l’introduction de la petite légumineuse, c’est au goût des autres.  Soixante-dix onces de liquides par jour qu’il buvait le dernier coco pâle examiné hier. « En ml, ça fait encore plus », que j’ai dit à sa mère. Plus du quart des enfants d’un an habitant la « ville » — entendre Montréal – souffrent d’anémie ferriprive coupable de contribuer à des retards de développement et des apprentissages.  « De misère à l’école », pour revenir sur le jour d’hier.

 

Le beurre d’arachide, les oeufs, la dinde en spécial, le riz, le passé date, le gruau, le « cheez-whiz » offrent aux familles de quoi imaginer des lendemains. Le panier dit de Noël n’arrange rien. La charité interposée a le mérite de nourrir l’âme, mais on aurait tort de s’en satisfaire, car elle est loin d’être le ressort nécessaire et durable.  L’économie de la pauvreté n’est que la contre-culture d’une culture qui a déjà trop sa place : l’économie grande surface à la grandeur de la planète, au-delà des valeurs – la valeur d’un enfant qui pousse – et de ses droits – le droit de petit-déjeuner avant de partir pour l’école.

 

La gastronomie du pauvre

On peut toujours triturer les chiffres et renflouer nos seuils de tolérance, les % demeurent pétants : 20 à 25 % des enfants canadiens vivent sous le seuil de la pauvreté. Onze heures du « mat », c’est vous dire à quel point la panse est en panne! Comptez pour voir : moins de protéines pour le coup d’envoi matinal, moins d’appétit pour la connaissance et de raisons d’être fier, donc moins d’estime de soi. Le mot est lâché... L’estime de soi est la conscience de la valeur personnelle qu’on se reconnaît à travers un ensemble d’attitudes, de manières et de croyances qui permettent de faire face aux réalités de la vie. Comme l’os, la rétine ou l’enzyme de votre choix, l’estime de soi carbure à même l’arc-en-ciel des groupes alimentaires.

 

Malgré des efforts mondiaux, ni la pauvreté ni les inéquités n’ont diminué dans le monde au cours des dernières années.  En 1960, l’écart entre les 20 % les plus riches de la population mondiale et les 20 % les plus pauvres était de 30 pour 1; en 1997, il était de 74/1.  Des millions d’enfants vivent maintenant dans la pauvreté absolue et sans accès facile au grenier alimentaire, aux veaux, vaches, cochons…au zinc et au sélénium. La faim chez nous, le marasme ailleurs : 42 % de malnutrition protéino-calorique en Asie, au-delà de 27 % en Afrique et une augmentation en flèche en Europe de l’Est. La statistique est pesante, mais jamais vaine; tant que l’intellectuel la lui sert, la statistique est gastronomie pour le pauvre.

 

Les effets à long terme de la mauvaise alimentation et de la malnutrition sur le devenir des enfants d’ici où d’ailleurs trouvent des échos rassembleurs ou dissidents à travers les différents écrits scientifiques. Mais le point de départ demeure le même : trop d’enfants pauvres mangent encore de travers. 

 

Manger son prochain, serait de les laisser faire.

 

 

HUMANITARISME

La solidarité à géométrie variable

2005

 

Par Nago Humbert, président de Médecins du Monde-Suisse

Extrait de : Le temps/ Abandon, Adoption, Autres mondes/ avec son aimable autorisation

Suisse/Québec, 2005

 

Ce début d’année a vu les démons de la nature semer encore une fois la mort et la souffrance parmi les populations les plus vulnérables de notre planète. Plus de 250.000 morts et 500.000  personnes déplacées, démunies de tout sauf de la vie.

 

Ces chiffres sont effroyables par leur ampleur mais tellement virtuels par leur abstraction qu’hormis le fait qu’ils alimentent l’indécence de certains médias, ils ont perdu toute humanité. Cette comptabilité macabre par son inflation quotidienne depuis le 26 décembre ne fait que banaliser la souffrance et la mort au lieu d’augmenter notre compassion. 

 

Quand j’ai appelé un ami depuis  Montréal le 26 décembre pour lui souhaiter de joyeuses fêtes, il m’a annoncé qu’il y aurait eu un raz de marée quelque part en Asie et qu’il y aurait 4000 morts. Il était particulièrement inquiet parce que sa compagne était partie en vacances en Inde. Le temps que j’allume la télévision, les journalistes annonçaient déjà 10.000 morts. J’ai d’abord pensé à la compagne de mon ami.

 

Un événement est toujours à la croisée de l’intime et du collectif. Lors de cette tragédie, on a tellement mélangé les deux que l’événement a perdu et le sens de la mesure et l’émotion individuelle. Par exemple, en juxtaposant les témoignages de victimes suisses en vacances à Phuket et les images des rescapés de la province d’Aceh en Indonésie, on a mélangé les messages : d’un côté l’émotion provoquée par une personne qui nous ressemble (un compatriote) sidérée par la perte d’un être cher et de l’autre, l’information sur une terre lointaine qui ne nous émeut que par l’ampleur de sa dévastation. Le manque de cohérence de la couverture médiatique de cette tragédie n’a pas aidé à apaiser l’angoisse des familles de disparus : en parlant sans preuve, en s’appuyant sur les rumeurs que des enfants auraient été enlevés pour être donnés (vendus) en adoption ou à des réseaux pédophiles, la presse n’a fait qu’augmenter la souffrance des familles dont les enfants avaient disparu.

 

La mort en direct

Il y a eu ensuite cette débauche d’images sorties des caméscopes de touristes survivants montrant  des hommes, des femmes et des enfants s’agrippant à une branche avant d’être engloutis par les flots. Nous étions comme fascinés par ces images, assis confortablement dans nos salons, alors que nous aurions dû être révoltés par l’indécence de cette mort en direct. Imaginez une seconde que l’enfant que vous voyez disparaître, vous le reconnaissiez ! Vous auriez l’impression de perdre la raison et votre colère contre les médias pour leur manque d’éthique serait légitime. Etrange paradoxe de notre société occidentale qui d’une part fait tout pour occulter la mort et ses rituels - l’exposition du corps par exemple - et d’autre part ne se prive pas d’étaler les cadavres d’autres sociétés lointaines à longueur de journal télévisé dans un voyeurisme malsain.

 

Cela me rappelle les corps sans vie des enfants qu’on entassait dans des charrettes lors du génocide au Rwanda sans que personne ne trouve à redire sur l’indignité et l’irrespect de cette démarche visuelle. Comme si la distance géographique ou l’horreur du nombre nous faisait oublier que ces petits corps sans vie, avant d’être des victimes et des preuves de cet horrible massacre, avaient été des être humains, chacun avec son histoire unique, qui méritaient qu’on protège leur intimité et leur dignité comme nous le ferions pour nos propres enfants.

 

Ces images des victimes du tsunami ont-elles été à la base de cette formidable solidarité internationale ? Le peuple suisse a été particulièrement généreux, puisque la Chaîne du bonheur a battu un record historique et que MSF, dans une démarche éthique, a demandé de cesser de lui envoyer des dons.

 

Certainement, mais l’Irak nous envoie également quotidiennement son lot d’images de morts et de souffrance. Mais c’est la guerre et ses effets collatéraux, dirons quelques cyniques philosophes de salon, alors nous regardons ces images de douleur d’un œil discret, lassé par l’effet répétitif et un sentiment de déjà vu, attendant sans émotion particulière la prochaine information sur le sauvetage ou le naufrage du FC Servette.

 

Et pourtant, en Irak il y a aussi des enfants qui meurent et si le tsunami fait partie de ces catastrophes naturelles dont l’homme n’est pas responsable, la responsabilité de l’homme dans les souffrances du peuple irakien est entière. C’est pourquoi notre révolte et notre compassion devraient être encore plus grandes. Mais je gage que si la Chaîne du bonheur s’aventurait à organiser une collecte pour les victimes de la guerre en Irak, elle ferait une piètre récolte. L’échec de la collecte pour l’Afghanistan ou nos difficultés à trouver des financements pour nos projets en Palestine sont des exemples patents que la population a l’émotion et la générosité sélectives… Un peu comme s’il y avait de « bonnes » victimes innocentes résultant de la violence de la nature et de « mauvaises » victimes pas vraiment innocentes résultant de la violence de l’homme. 

 

Et que dire des victimes du Darfour - on parle de 200.000 morts - du million d’enfants orphelins du sida en Afrique, du non-accès à la  trithérapie, des victimes de la malaria, de la drépanocytose, sans parler de la situation en Haïti où nos volontaires font un travail formidable dans des conditions difficiles (le dispensaire se trouve à 7 heures de marche de la première route carrossable). "Nous ne pouvons laisser de côté Haïti qui en réalité subit un tsunami socio-économique depuis 200 ans ; ce sont 30000 enfants qui meurent par an en Haïti, presque autant que ceux qui sont morts maintenant en Asie. Ce n’est ni une exagération, ni une figure de rhétorique " a déclaré le ministre des affaires étrangères du Brésil.

 

La solidarité serait-elle à géométrie variable basée avant tout sur l’émotion provoquée par les images de la télévision et non sur une analyse réelle des besoins ? En ce début d’année la démonstration n’est plus à faire et par conséquent il serait malhonnête de nous voiler la face et de faire comme si la dictature de l’image n’existait pas. Une cause sans image n’a aucune chance d’être financée par le grand public. Mais ce n’est pas une raison pour s’agenouiller devant elle et se plier aux exigences du marketing humanitaire au nom de la sacro-sainte efficacité économique jusqu’à y perdre son âme.

 

Le malaise qui nous habite

Qu’on me comprenne bien, il ne s’agit pas ici de nier l’énorme et formidable élan de solidarité de la population suisse ou le travail exemplaire effectué par les volontaires des ONG, mais simplement de décrire le malaise qui nous habite face à la difficulté des différents acteurs, journalistes, gouvernements et surtout humanitaires de passer de l’émotion à la réflexion. En nous précipitant tous au même endroit pour être sur la photo, étant en outre certains qu’avant même l’écriture de la première ligne d’un projet celui-ci sera financé, nous nous rendons complice de cette dictature de l’image et nous trahissons allègrement l’une des devises de Médecins du Monde : "aller où les autres ne vont pas". 

 

On participe à une logique absurde qui fait que se sont les bailleurs potentiels qui désignent nos lieux d’interventions, avant même que l’on se pose les questions essentielles (quels sont les besoins ? Avons-nous l’expertise et les moyens requis pour ce genre d’intervention ?) sans lesquelles notre action sera au mieux inutile et au pire toxique. Le souvenir du déferlement des ONG au Rwanda qui se sont retirées en même temps que les caméras est encore dans toutes nos mémoires. J’ai eu la chance d’entendre un témoin rwandais de ce gâchis humanitaire : une jeune femme venue en Suisse acquérir les moyens de soigner son peuple nous a raconté ses frustrations et sa colère face aux moyens dont disposaient les ONG, elle qui avait tout perdu. Mais surtout elle a exprimé un énorme sentiment d’abandon lors du départ de ces mêmes ONG, laissant des structures de soins vides, quand son drame personnel et celui de son peuple n’ont plus fait la une des manchettes. Nous devrions plus écouter les bénéficiaires de nos interventions et introduire systématiquement le contre-témoignage en miroir de notre témoignage. L’enseignement que nous devrions en tirer nous permettrait d’être  un peu plus à l’écoute  des besoins des populations que nous sommes censés aider et un peu moins à l’écoute des sirènes  du pouvoir de l’image

 

 

HUMANITARISME

Le petit monde de l’humanitaire

2002/2004

 

Par Nago Humbert, président de Médecins du Monde-Suisse

Extrait de : Le temps/ Abandon, Adoption, Autres mondes/ avec son aimable autorisation

Suisse, mai 2002/ Québec, 2004

 

Depuis quelque temps, le petit monde de l'humanitaire est secoué par des scandales qui ternissent son image : la découverte de pratiques pédophiles et d'abus sexuels sur le terrain des missions de certaines ONG et d'agences des Nations Unies, la mise en examen de responsables des Restos du Cœur et de l'association Raoul Follereau en France pour malversations, les critiques de la présidente démissionnaire de l'Action contre la Faim qui dénonce la bureaucratisation des ONG et l'oubli des objectifs fondateurs de l'action humanitaire ou encore le coup de gueule dans un article du journal Le Monde du ministre des affaires étrangères belge qui fustigeait l'arrogance et l'impunité à la critique des humanitaires.

 

Cela tendrait simplement à confirmer ce que disait l'un de mes professeurs : Ce n'est pas parce que la cause est honorable et généreuse que ceux qui sont censés la servir le sont. Mais ces événements qui assombrissent l'éclat souvent quelque peu fabriqué ²des humanitaires devraient nous permettre des remises en questions sur notre rôle dans la société, notre gestion et surtout sur notre capacité à évaluer nos actions sur le terrain. Malheureusement, on a un peu tendance, dans les sphères dirigeantes des organisations caritatives, à manquer d'humilité en réagissant comme des vierges effarouchées et en évacuant les critiques et les problèmes en pensant que cela se passe uniquement chez le voisin.

 

Pédophilie et abus sexuel

Prenons le scandale de la pédophilie et des abus sexuels. Aucune organisation fut-elle humanitaire, au même titre que d'autres institutions, comme l'Église, les scouts ou l'école pour n'en citer que quelques-unes, n'est à l'abri de découvrir un jour que l'un de ses membres a abusé de sa confiance en utilisant sa fonction pour assouvir ses penchants pervers. Ce qui est très grave dans le cas qui nous occupe, c'est non seulement l'utilisation d'une position de domination et de dépendance :Je te donne du pain si tu couches avec moi², mais surtout quand ces pratiques sont érigées en système comme il semble que ce fut le cas dans le scandale du HCR en Afrique.

 

L'horreur que ces actes provoquent en nous est amplifiée par le fait qu'ils rendent les femmes et les enfants que nous sommes censés soigner et protéger doublement victimes : une première fois victimes de leur histoire personnelle (guerre, catastrophes naturelles) qui les a amenés à se trouver dans un camp de réfugiés, une deuxième fois victimes de travailleurs humanitaires qui ajoutent des blessures à leurs souffrances. Ils ont trahi leur confiance et bafoué notre idéal. Pour autant, les grandes organisations, notamment onusiennes, ont-elles saisi la gravité de la situation? Je crains encore une fois que les dirigeants soient tentés de banaliser ²cet incident isolé pour ne pas nuire à ²l'excellent travail accompli², et surtout pour ne pas effrayer les donateurs et autres bailleurs de fonds.

 

Argent

L'argent, voilà l'objet de toutes les contorsions, petites trahisons et autres soumissions et démissions des humanitaires. Je ne parle pas ici des volontaires sur le terrain des ONG qui consacrent une partie de leur existence à essayer de soulager grâce à leur expertise, leur courage et leur cœur une part infime de la souffrance humaine. Non, je fais allusion à une certaine idéologie dominante qui règne dans nos organisations et qui, avec un certain cynisme, s'adapte aux exigences du ²marché humanitaire : d'un côté l'image des braves volontaires sur le terrain et de l'autre les tenants du marketing humanitaire qui sont en train de prendre le pouvoir sur les premiers et qui finiront par diriger nos organisations. Cela a déjà commencé lorsqu'on accepte de choisir le lieu de nos missions en fonction des bailleurs publics potentiels. L'Afghanistan, la Palestine ou le Kosovo en sont les exemples les plus récents. On arrive alors à cette aberration qui est en contradiction fondamentale avec notre philosophie et notre indépendance tant revendiquée : ce sont les bailleurs qui choisissent les victimes.

 

Voir ou être vu?

Dans le monde humanitaire, comme dans le monde du spectacle, il y a des lieux où il faut être vu pour avoir les meilleures retombées médiatiques et par conséquent de meilleures chances de financements institutionnels, en général gouvernementaux.

 

Ce n'est pas grave si on a ni projet, ni connaissance du terrain ou de la situation politique et sanitaire; le financement est quasi assuré. Pour résumer simplement : actuellement il vaut mieux être à Kaboul qu'à Dufour. Vous ne connaissez pas Dufour?

 

C'est un village en Haïti qui se situe à 7 heures de marche de la première route carrossable où nous avons construit un dispensaire et formé des auxiliaires de santé depuis plus de trois ans qui offrent à plus de 9000 personnes des soins de santé primaire. Cette année nous avons planifié une campagne de vaccination pour cette population des plus vulnérables. Eh bien, nous avons les plus grandes difficultés à trouver un financement auprès des bailleurs publics. Présent il y a quelques mois à Dufour, alors que les paysans du comité de santé me demandaient ce qu'il fallait faire pour que le monde riche ne les oublie pas, j'ai fait cette réponse teintée d'humour noir : Trouvez un moyen de vous faire bombarder par les Américains!

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Attention de ne pas vous méprendre sur mes propos, je ne dis pas qu'il ne faut pas aider les Afghans, cela fait des années que Médecins du Monde France dénonce la situation sanitaire et nutritionnelle catastrophique de ce pays ravagé par plus de 20 ans de guerre. Je dis simplement que les organisations non gouvernementales sont en train de perdre leur âme en se soumettant aux dictats politico-médiatiques au nom de la réalité économique.

 

D'autant plus qu'on assiste à une globalisation de l'aide humanitaire. En effet, de plus en plus de bailleurs publics, comme la Confédération suisse, à travers la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) ou la Communauté Européenne, développent une politique de soutien aux grandes organisations et ne sont plus intéressés à financer des projets moins ambitieux gérés par de petites ONG. Pour preuve, notre projet à Bucarest, où une équipe médico-psychosociale tente depuis trois ans de soulager, dans des conditions très difficiles, les souffrances d'une communauté de 1200 tsiganes, exclus parmi les exclus. Le représentant de la confédération à Bucarest a trouvé ce projet très intéressant et le travail remarquable, mais a décidé de ne pas entrer en matière, entre autres raisons parce qu'il le trouve trop modeste.

 

Il y a quelques mois un haut fonctionnaire fédéral de la DDC nous a même prédit notre disparition et nous a conseillé avec courtoisie de nous fondre dans Médecins sans Frontières. Car selon lui, seules les grosses organisations subsisteront. Étrange discours qui nous renvoie à une autre logique néolibérale à la mode et dont on connaît les retombées bienfaisantes pour les pays du sud : la mondialisation.

 

Ravages

Les conséquences de ce type de discours ont déjà commencé à faire des ravages parmi nous : il faut être politiquement correct et se grouper en consortium de l'humanitaire pour plaire aux bailleurs publics tels que la Communauté Européenne, la Banque Mondiale ou nos gouvernements, quitte à renier nos engagements et les valeurs éthiques fondatrices qui ont inspiré les pionniers comme Bernard Kouchner pour créer Médecins du Monde ou, avant nous, Médecins sans Frontières : soigner les populations les plus vulnérables, témoigner des violations des droits à l'accès aux soins de santé sans oublier l'indépendance politique et le droit d'ingérence humanitaire. Car comme le dit notre charte, la non-ingérence s'arrête à l'endroit précis où naît le risque de non-assistance.

 

On le vit actuellement de façon explicite dans le conflit israélo-palestinien quand parmi nous, certains refusent pour des raisons de politique intérieure, de témoigner sur les violations du droit humanitaire ou pondent des communiqués que le département des affaires étrangères suisse ne renierait pas et que même le CICR trouverait peu audacieux et trop neutraliste.

 

Demeure alors la seule question que nous avons à nous poser : À quoi servons-nous? Avons-nous encore une place originale dans ce petit monde de l'humanitaire ou sommes-nous devenus comme ceux que nous critiquons pour la lourdeur de leur appareil, leurs gros salaires et leurs plans de carrière, leur manque de courage politique, leur absence d'intérêt et d'empathie pour les victimes?

 

Alors, le fonctionnaire de la DDC aurait raison et par conséquent nous devrions disparaître et créer une grande et unique multinationale de l'humanitaire qui s'occuperait de la santé, des réfugiés, des problèmes de nutrition, d'éducation, etc. Le problème c'est qu'elle existe déjà, elle se nomme l'ONU et on connaît son indépendance politique et son efficacité bureaucratique.

 

SOURCE

 

Humbert, N. Le petit monde de l’humanitaire, Le temps, Suisse, 2002, paru sur Abandon, adoption, autres mondes à www.meanomadis, Le monde est ailleurs, Québec, 2004

 


VACCINATION UNIVERSELLE

Poliomyélite: ramper au Underground bazaar

2002

 

Par Jean-Francois chicoine, pédiatre

Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Adapté de Locus Movere/Le médecin du Québec & www.servicevie.com/Transcontinental

Dernière révision : 22 novembre 2002

 

Ramper dans un underground bazaar.  En Inde, dans les marchés de Delhi, de Madras ou de Srinagar, on voit encore, à condition de vouloir voir, des enfants qui rampent sur leur ventre, plaqués par terre comme ces serpents célèbres dans l'ayurvédisme pour leur incapacité à s'élever au-dessus des réalités de ce bas monde - des réalités comme la souffrance et la maladie. 

 

Ces enfants sont atteints de poliomyélite, une infection virale qui risque de les coller au plancher en envahissant les cellules de la moelle épinière responsables de l'influx nerveux dispensé aux plus gros muscles des bras, des jambes et du tronc. 

 

Vaccins ou tapis

Dans le monde industrialisé, la polio a pour ainsi dire été éradiquée par la vaccination (quoiqu'en disent ceux qui ont tout intérêt à prêcher le contraire).  Mais dans quelque 70 pays du monde en développement, tout spécialement en Inde qui rapporte plus de la moitié des 100 000 nouveaux cas annuels de par le monde, la poliomyélite continue à l'heure actuelle de rendre malade, de paralyser ou même de tuer en s'attaquant à l'occasion au contrôle des muscles de la respiration. 

 

Des traitements orthopédiques permettent de corriger partiellement les séquelles de l'infection.  La physiothérapie permet également d'en amenuiser les difformités.  Mais au underground bazaar, on ne vend ni orthopédie ni physiothérapie.  On vend des tapis.

 

La vaccination universelle

Néanmoins, par la vaccination universelle, l'éradication totale de la poliomyélite, comme autrefois celle de la variole, est désormais une chose tout à fait réalisable.  Pour atteindre cet objectif, plusieurs pays, dont l'Inde, ont inauguré la stratégie des journées nationales de vaccination, capables de magnifier l'immunisation déjà prévue au programme et ainsi pu vacciner plus des millions d'enfants. 

 

Des enfants, des esclaves

Mais d'autres enfants, et peut-être bien des centaines de milliers d'autres n'ont pas pu être vaccinés.  Ils n'ont pas été vus.  Ils n'ont pas été entendus. 

 

Pour tout dire, ils avaient été vendus en esclavage par leurs parents miséreux à des marchands de tapis illégaux qui les auront attachés par les pieds ou le tronc, par terre dans l'arrière-boutique de leur carpets factories, à fabriquer de force des tapis pour le underground bazaar ou à exporter un peu partout dans le monde, y compris au Canada pour décorer nos halls d'entrée et nos salles à manger.  À les voir travailler sur le plancher, on se contenterait sans doute d'un plancher.

 

En fin de compte

D'une incarnation à l'autre, la somme des bonnes actions accomplies (par exemple : vacciner contre la polio) et des mauvaises actions commises (par exemple : acheter un tapis) s'appelle le KARMA.

 

SOURCES

 

Bhabtacharjee j et coll, Polyomyelitis in delhi : a projection on pool of at-risk underfive during 1995. Naboval institute of communicable diseases. Delhi, India,1994.

Donovan P., Carpet mafia, World press review, octobre 1995. 42(7).

Fonds des nations unies La situation des enfants dans le monde, Unicef 1996.

Grimal P., Les mythologies de l'inde.  Mythologie, Larousse.  Paris 1963.

John T.J., Experience with poliovaccines in the control of poliomyelitis in India, Public health reviews 1993-1994; 21(1-2):83-90.

 




Dernière révision : Février 2016

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