Notre parole

 

Éditoriaux/ Croyances, cultures & sociétés

 

 

 

 

TANCHES & MODES DE VIE

Gluten, autisme, rougeole et derrière

2016

 

Par Jean-Francois Chicoine

Le monde est ailleurs, Québec, Canada, 1er février 2016

 

Le gluten donne une colopathie qui donne de l’autisme, la rougeole donne une colopathie qui donne de l’autisme, et quoi encore? Le chausson donne de l’autisme? Et la bêtise, elle, elle donne de l’autisme?

 

Si oui, le diagnostic devrait monter en flèche. Car la stupidité a dorénavant bien meilleure presse que l’esprit critique.

 

Nous sommes dans un restaurant à Magog, pas mauvais. Au dessert, le serveur nous propose gentiment ses spécialités sans gluten et sans lactose ainsi qu’un gâteau aux carottes.

 

« Sans carottes? », je dis.

 

Ne sachant pas dans quoi il s’embarque, il plonge alors en toute bonne foi sur les désarrois médicaux de sa clientèle actuelle, sur la soi-disant prévalence des pathologies reliées au lactose ou au gluten, sur la connexion amicale de leur menu avec le CHU de Sherbrooke, sur la crise ( évidemment feinte) d’apoplexie d’une cliente ayant découvert de l’orge dans une soupe aux légumes pourtant certifiée sans gluten, mais avec légumes (dedans et devant l’assiette), et sur un tas d’autres concepts médicaux alambiqués. L’espace d’un instant, je ne me sens plus au restaurant, mais à l’hôpital.

 

Garde, une crème brulée, pas brulée!

 

Ce n’est pas d’hier que l’intestin et le derrière excitent les charlatans. C’est même l’un de leurs territoires préférés. On parle de zones érogènes, il y a aussi des zones charlatogènes. Partout elles font les manchettes, d’abord dans les croyances et dans les cabinets médicaux, puis à la télé, sur le WEB, dans les livres, de plus en plus dans les pâtisseries, les boulangeries et les restos.

 

Hippocrate n’a pas eu que des bonnes idées. Sa moins bonne d’ailleurs, l’idée qu’il faille nettoyer le corps des humeurs encrassées a été retenue par Galien qui avait la faveur du clergé. Conséquence : durant les centaines d’années précédant l’arrivée de la pensée scientifique, et dans le respect des âmes, tout un chacun faisait sortir le mal, quand ce n’était pas par des ventouses ou des saignées, par un bon lavement dans le derrière appelé clystère.

 

Le clystère (du grec « klyzein » : laver) est le nom anciennement donné au lavement, traitement très fréquemment administré aux XVIIe et XVIIIe siècles pour épurer les organes et éliminer les humeurs. Le clystère désigne aussi la grande seringue métallique, en étain, utilisée à cet effet.

 

À l’époque, les deux grands remèdes ordonnés par les médecins sont la saignée et le clystère : « … un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. » Dans « Le malade imaginaire », où figure cette prescription, comme dans plusieurs autres comédies, Molière (1622-1673) tourne en dérision cette pratique abusive de la médecine allopathique. Le roi Louis XIV (1638-1715) a lui-même subi de nombreux clystères.

 

Longtemps par suite, la vieille Europe a préféré les suppositoires aux comprimés et aux sirops, allez savoir pourquoi.

 

Durant deux décennies la supercherie de l’ex-Docteur Wakefield aura fait un lien frauduleux entre le vaccin de la rougeole, l’absorption intestinale et l’autisme. Avec les conséquences désastreuses sur la vaccination que l’on sait.

 

On voit tout partout des intolérants congénitaux au lactose, alors que dans les faits on peut les compter sur les doigts. L’intolérance acquise au lactose concerne surtout certaines ethnies, certaines contrées, il y en a chez nous, beaucoup, mais elle n’empêche pas grand monde de se faire une crème glacée, d’autant qu’il y a des pilules et des produits alimentaires adaptés pour la vie de tous les jours pour cela.

 

Maintenant, chez Fides, l’éditeur, et portée par les médias, une dernière insignifiance trouve son heure de gloriette. Elle vaudrait pour sa charge humaine. L’autisme de deux enfants aurait été guéri (il ne s’agit pas de guérir de l’autisme premièrement) par une maman notamment alertée par les méfaits du gluten. Tout cela, « naturellement ».

 

Le gluten, l’intestin et le derrière, encore.

 

La nature a bon dos. Et la résonnance affective ne nous mènera décidément nulle part. Le blé a fondé la Méditerranée, l’Europe, puis l’Amérique, pas le sort des enfants autistiques.

 

Soi-disant intolérants au gluten, qui sont des intolérants tout court, ne commentez surtout pas mon texte, un artiste de la relève vous dirait « je vous emmerde », moi je vous aime, j’aime votre intestin prétendu souffrant, car je suis un expert des souffrances, c’est mon métier. Je comprends votre souffrance, mais je ne la partage pas.

 

Trop de plaisir à beurrer mon pain.

 

Pour tout dire, je cherche le chainon manquant entre l’intestin et les cerveaux des intolérants à « toutte ». Je cherche à savoir pourquoi ils sont de nouveaux Homo Sapiens intolérants à tout ce qui nourrit des enfants et leur fait plaisir et ne leur donne pas d’autisme. Je cherche à savoir pourquoi ils n’arrivent pas à profiter du fait qu’ils sont vivants. « Des morts-vivants », m’avait déjà dit le comédien Paul Buissonneau en avalant du foie gras.

 

Il doit bien y avoir un neurone en détresse quelque part.

 

Mon voisin de table opte finalement pour le gâteau aux carottes. Il était bon, j’y ai gouté, d’autant plus solidaire que les carottes ne causent pas l’autisme. Non, les carottes nuisent au jugement. Je vous le dis : je connais plein de lapins.

 

SOCIÉTÉ/ DESIGN

Les pharmacies: un antre horrible qui regorge de bébelles n’ayant aucun lien avec notre santé

2008/ mise en ligne 2014

 

Par Frédéric Metz (1944-2014)

AGI, professeur et directeur du programme de design graphique Université du Québec à Montr

Publication originale Service vie/ Coup de pouce / Le monde est ailleurs

2 janvier 2008

 

En hommage à notre collaborateur Frederic Metz décécé cette semaine, nous ravivons cet éditorial qu'il nous avait concocté autour des pharmacies. Une audace pareille ne passe pas souvent. Jean-Francois Chicoine, aout 2014

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Punis pour nos excès, nous y passons tous un jour, une ordonnance au bout des doigts: la pharmacie. Ce sera rapide, se dit-on. Erreur! Le génial Jean Coutu, le vrai, a trouvé l’astuce: nous faire poireauter dans son antre horrible qui regorge de bébelles n’ayant aucun lien avec notre santé.

 

Presque tous l’ont imité: Brunet, Familiprix, Proxim et Uniprix se concurrencent pour vendre croustilles, savon à lessive, mascottes, casseroles, casquettes, horloges, albums de photos, timbres… Pendant qu’un aide-pharmacien recompte vos pilules en les transvasant de leur emballage original à d’insipides « vials », anonymes et difficiles à ouvrir, on est coincé dans de minuscules allées tellement encombrées qu’elles en sont dangereuses. Supports-crochets limitant le passage. Paniers métalliques qui heurtent nos tibias. Tourniquets antivol qui nous coincent les « amourettes ».

 

Terrifiantes pour les yeux, perturbantes pour la psyché, ces cavernes d’Ali Baba vouées à notre santé nous anéantissent avant de nous faire « passer au cash ». « Cash » tant convoité par ces empoisonneurs de bonne santé, qu’ils nous mettent tous dans le panier des voleurs en série: serrures, alarmes, tout est en place pour anéantir les timides acheteurs.

 

Et pour souligner les rabais, des cartons fluo, rouges ou verts, de mauvais goût, sont installés n’importe comment à côté des produits-vedettes. Les dépliants, amputés de leurs précieux coupons-rabais qui jonchent le sol, donnent cet air de carnaval à longueur d’année. Pour couronner le tout, on y ajoute cette touche subtile de sons « Musak » au fil des « Fêtes joyeuses » à souligner.

 

 

Quelle agression. Aïe! Je me sens tout étourdi.

Antithèse idéologique? Certaines chaînes de pharmacies poursuivent leurs excès sur le terrain de la médecine alternative: « pétries » de respect pour notre santé, elles proposent produits naturels, bio, voire homéopathiques. Mais que font des produits santé dans la cour des plus violents poisons?

 

 

Pas en bas de la ceinture!

L’exception, la pharmacie où le design a sa place, se nomme Pharmaprix. Quel calme. On y respire. Respect de normes « humaines ». Plafond dégagé, larges allées aérées où sont disposés les produits maison Life, impeccablement conçus, graphiquement intéressants et placés juste à la bonne hauteur pour les yeux. Car notre œil balaie tout, inconsciemment.

 

Les tests d’Eliot Young effectués pour Perception Research Service(PRS) ont démontré depuis belle lurette et avec grande précision que notre regard « suit son chemin », en dehors de toute volonté de notre part. Notre vision balaie les produits et s’arrête sur un détail qui retient notre attention. Ce n’est pas à la hauteur des yeux que les produits ont la meilleure visibilité, mais au niveau des bras. Étonnant, non? Les produits placés plus haut que les yeux ont moins de visibilité (30 %). Tout ce qui est en bas de la ceinture est peu vu, car plus c’est bas, moins on regarde. Savez-vous que 85 % des nouveaux produits sont retirés des étagères parce qu’ils ne sont jamais vus?

 

 

Optimiser la visibilité d’un produit

Bien entendu, tout manufacturier veut que les regards convergent vers son produit chéri, situé au niveau idéal. La guerre est donc déclarée entre concurrents. C’est la ruée vers le niveau idéal. Dans les « supermarchés pharmaceutiques », tous envient cette place de choix garantissant le plus de ventes possible. Et on est prêt à tout promettre pour l’obtenir.

 

Ce problème n’existe plus au Mexique. Dans les grandes surfaces, on fait appel à la théorie scientifique de la perception visuelle pour donner la même visibilité à tous les produits, plaçant ingénieusement, ceux de la même marque sur un axe vertical plutôt qu’horizontal. La même bouteille de shampoing se retrouve ainsi en colonne, le client le plus grand prenant le produit sur l’étagère du haut, et le plus petit, sur celle du bas. Tout le monde est content. Visuellement magnifique, verticalement malin, simple et efficace. Et le commerçant n’est plus obligé de louer au rabais les tablettes qui ne font pas partie du champ visuel idéal.

 

La chaîne de magasins d’alimentation Métro n’est pas en reste: elle a réussi un bon coup par son côté attractif. Chaque rayon possède un puissant éclairage au néon. De loin, les tubes de dentifrice, les bouteilles de shampoing ou les pots de crèmes corporelles brillent! Mais le consommateur qui s’en approche est ébloui par leur blancheur qui rend la lecture des étiquettes pratiquement impossible. Bel exemple d’anti-design qu’on pourrait qualifier d’« over design ».

 

Bouillie pour consommateurs

Dans le monde des grandes surfaces de vente au détail, on sait que rien, absolument rien, n’est laissé au hasard. On se demande alors pourquoi aspirines, sparadraps et couches trônent-ils au milieu des salades et de la « bouffe à chiens »?

 

Cette réunion de produits disparates dans le même magasin me fait penser aux populaires sandwiches jambon-fromage. Quant à moi, je préfère manger un sandwich au jambon le lundi et un sandwich au fromage le mardi, plutôt que de manger le lundi et le mardi le même sandwich jambon-fromage. Pourquoi désirer deux fois de suite le même repas?

 

Et que dire de l’odeur d’une pharmacie – une vraie -? Dans ces boutiques d’apothicaire, les émanations de mixtures à l’ancienne possèdent ce quelque chose de rassurant, d’auréolé: on se sent « pris en charge ». À Montréal, j’apprécie beaucoup le pharmacien Jean-François Boyer, rue Amherst. Il nous attend, comme dans le bon vieux temps, derrière son simple comptoir. Devinant notre malheur, par la magie des posologies il conseille, fier de ses potions, comme un vrai libraire qui a lu tous les livres qu’il vend. Et si l’onguent n’est pas disponible, il nous le livre personnellement à la maison, avec un sourire en plus. Ça fait du bien. Serait-ce çà la bonne prescription?

 

Grâce aux pharmaciens, on a vaincu la variole. Bravo. Mais doit-on absolument payer cette victoire en supportant la vue de ces monstrueuses enseignes criardes et de tous ces artifices ? Prend-on les gens pour des demeurés?

 

 

CROYANCES
La mortinaissance : un passeport pour le paradis?

2014

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Mars 2014

 

La mortinaissance ou mortinatalité désigne l'expulsion d'un foetus mort après 24 semaines de grossesse.

 

Avant le 6ème mois de grossesse, lorsque l'embryon ou le fœtus mort est expulsé ou extrait du corps de la mère, il ne s'agit pas d'une mortinaissance, mais d'une fausse couche ou d’un avortement. "Elle a fait une fausse couche" dira-t-on de la mère blessée.

 

Limbes, pas limbes

La position de l’église catholique romaine  sur le sort de l’âme des enfants morts nés continue d’évoluer.  Jusqu’au début du moyen-âge, les enfants morts sans baptême sont condamnés à vivre en enfer. Le dogme des limbes (du latin « limbus » : bordure, frange) pour enfant n’apparaît que plus tard, au tournant du 13è siècle et stipule que ces enfants seront exclus du paradis, mais qu’ils échapperont aux tourments de l’enfer.

 

L’amélioration de leur sort s’explique historiquement par de multiples facteurs, dont une évolution de la perception sociale de la petite enfance.

 

C'est dèjà ca de pris

 

Nouveaux développements en 2007 : après une longue réflexion, les théologiens du Vatican se ravisent et publient de nouvelles directives sur la question en déclarant que les limbes projettent une vue trop restrictive du Salut. Ils en proclament ainsi l’abolition : dorénavant, les enfants morts sans baptême iront directement au paradis.

 

C'est ce qu'on appelle une bonne nouvelle, mais qui ne change pas vraiment une journée dans un service de pédiatrie.

 

SOURCE

 

L’enfant et sa famille, Collections de l’histoire, 2006

 

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

L'iridologie: chèvre ou dignité?

2012

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Adapté de médecines différentes, Comité des politiques de santé, CHU Sainte-Justine 1997

Publication électronique, Le monde est ailleurs, 11 janvier 2012

 

L’iridologie est une technique non conventionnelle d’observation de l’iris, au moyen de lampes, de loupes, avec usage de photographies, d’images numérisées, etc.

 

Ses partisans, qui considèrent l’iris comme un véritable tableau de bord de l’organisme, soutiennent pouvoir y observer les prédispositions morbides de la personne qui les consulte, lui recommander des prescriptions de vie, voire préciser le nombre d’années qu’il lui reste à vivre.

 

Aperçu anthropologique

Développée au tournant du vingtième siècle, l’iridologie s’inspire, entre autres, de la capacité des bergers de diagnostiquer à l’œil les maladies de leurs chèvres.

 

Suite à d’autres observations, un médecin homéopathe hongrois, le Docteur Ignaz Von Peczecly, jette les bases de cette pratique qui se répand en Europe, puis aux États-Unis, sous l’influence du Dr Bernard Jensen qui lui consacre un livre. L’iridologie est actuellement pratiquée par des réflexologues, des naturopathes, des phytothérapeutes ou tout simplement par des iridologues. Quelques médecins pratiquent également la discipline, notamment en Hongrie.

 

Aperçu sociosanitaire

Il ne faut pas confondre les examens oculaires réalisés dans le cadre de l’iridologie avec ceux effectués par des professionnels de la santé, notamment des ophtalmologistes, des optométristes ou des orthoptistes. L’iridologie, qui ne repose pas sur des assises scientifiques anatomiques, physiologiques ou physiopathologiques, ne permet pas de poser un diagnostic médical, ni d’en déduire une conduite thérapeutique.

 

Les adultes peuvent toujours s’y adonner, mais les enfants devraient en être épargnés.

 

Par dignité.

 

 

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

Clysteres, irrigation colonique & épuration en tous genres

2012

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Adapté de médecines différentes, Comité des politiques de santé, CHU Sainte-Justine 1997

Publication électronique, Le monde est ailleurs, 11 janvier 2012

 

Thérapies épuratives, clystères...D'une civilisation à l'autre, d'une époque à l'autre, c'est la meme volonté de pureté. Les irrigateurs de colon, une sorte de romantiques?

 

Les thérapies épuratives

Différentes thérapies épuratives plus ou moins inspirées par la médecine ayurvédique nous sont maintenant offertes sur le marché occidental des médecines différentes. Ces pratiques, il faut bien le dire, ont d’abord et avant tout des ascendants majoritairement ésotériques et mystiques conformes à la morale ayurvédique dont l’un des enjeux est de purifier la réalité de tous les jours pour faciliter l’accès au monde immatériel de l’éternité. Comme tant d’autres aspects caractéristiques des multiples facettes de la spiritualité hindouiste, ces prescriptions de vie ont aussi leurs conséquences pratiques, certaines positives et d’autres tragiques.

 

La plus célèbre de toutes les thérapies épuratives est sans nul doute le végétarisme dont la pratique est aujourd’hui si répandue qu’on en arrive parfois à oublier ses origines mystiques, entre autres sa croyance en une trame continue de petites existences entre l’homme et l’animal. Comme on le sait, certaines formes de végétarisme comportent leur lot de conséquences dramatiques tandis que des approches plus rationnelles offrent par ailleurs des avantages scientifiques et écologiques fort bien documentés.

 

Connexes aux dimensions spirituelles et sacrées du végétarisme, des avatars plus dogmatiques de la médecine ayurvédique nous sont malheureusement également parvenus. Ce sont en l’occurrence la diète macrobiotique, le jeûne à l’eau sous toutes ses formes, l’irrigation du côlon à l’eau "vivante" (ou hydroentérothérapie ou hygiène intestinale), dont la pratique ancestrale remonte aussi à l’ancienne Égypte, l’irrigation nasale ou gastrique, la massothérapie à l’huile chaude, toutes des thérapies épuratives qui se chargent de vertus soi-disant énergétiques et qui allient les conséquences .éventuelles d’un empirisme abrutissant et dangereux à un charlatisme intégral.

 

Les clystères de Molière

Le clystère (du grec « klyzein » : laver) est le nom anciennement donné au lavement, traitement très fréquemment administré aux XVIIe et XVIIIe siècles pour épurer les organes et éliminer les humeurs. Le clystère désigne aussi la grande seringue métallique, en étain, utilisée à cet effet.

 

À l’époque, les deux grands remèdes ordonnés par les médecins sont la saignée et le clystère : « … un bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, trente sols. »

 

Dans « Le malade imaginaire », où figure cette prescription, comme dans plusieurs autres comédies, Molière (1622-1673) tourne en dérision cette pratique abusive de la médecine allopathique. Le roi Louis XIV (1638-1715) a lui-même subi de nombreux clystères.

 

Les irrigateurs de colon

De nos jours, les adeptes de l’irrigation colonique poursuivent leurs aspirations épuratives dans des agendas chargés de lavements. En pédiatrie, les lavements sont prescrits contre la constipation sévère, ou dans le cadre de préparations radiologique ou chirurgicale. Autrement, ils sont dangereux à administrer à qui mieux mieux, notamment en raison des déséquilibres électrolytiques qu’ils risquent d’entrainer.

 

Un enfant ne devrait jamais se retrouver devant un irrigateur, ni même baisser ses culottes devant lui.

 

Surtout pas lui.

 

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

Polarité: l'hybridation bêbête

2012

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Adapté de médecines différentes, Comité des politiques de santé, CHU Sainte-Justine 1997

Publication électronique, Le monde est ailleurs, 11 janvier 2012

 

La polarité trouve ses sources dans une théorie hybride du milieu du siècle inspirée, d’une part par l’ère de l’électricité et, d’autre part, par des principes philosophiques égyptiens, chinois, mais surtout ayurvédiques…

 

La polarité est créée aux États-Unis par Randolph Stone, un Autrichien entraîné à l’ostéopathie, à la chiropratique, à la naturopathie, à l’acupuncture ainsi qu’à la réflexologie.

 

Sa méthode se veut fondée sur le fait qu’un champ électromagnétique circule tout autour de notre corps, qu’il y pénétrerait de même, pour y créer un système énergétique fort complexe sans rapport avec celui des méridiens chinois, composé de forces positives, négatives ou neutres selon les endroits, les pieds étant par exemple de charge négative, et le côté droit de charge positive; différents niveaux d’énergie individuelle dits moléculaires, chimiques ou électriques, se retrouveraient ainsi en toute continuité avec l’énergie cosmique de l’univers et des éléments naturels qui le composent soit l’eau, la terre, l’air, le feu et l’éther.

 

La santé est ici définie selon des critères magico-sacrés comme un état harmonieux de balance énergétique et la maladie comme un blocage de cette même énergie, on imagine facilement que la mission du thérapeute sera celle de lever les barrières «énergétiques» qu’il aura identifiées et de mieux canaliser les forces «magnétiques» de son patient en lui suggérant des exercices respiratoires hindouistes, des diètes spéciales «détoxifiantes» et surtout en pratiquant sur lui avec ses mains des touchers «neutres», des mouvements «positifs» et des manipulations «négatives» soi-disant susceptibles de mettre en action les processus «naturels» d’autoguérison.

 

Il faut d’ailleurs insister pour dire qu’une séance de polarité se veut plutôt «génératrice» de santé qu’utile à lutter contre telle ou telle maladie spécifique. On peut noter également qu’il existe une variation du genre connue sous le nom d’autopolarité; elle consiste en quelque sorte à prescrire des exercices et des attitudes pouvant s’effectuer sur une base individuelle entre des sessions plus manipulatives, et certes plus coûteuses nécessitant l’intervention d’un thérapeute.

 

Malgré ses allures bioélectriques, la polarité n’est qu’une réduction «bêbête» des philosophies sacrées immanentes au yoga, à la méditation et à d’autres techniques ou thérapies archaïques. Les bienfaits qu’elle propose sont donc surtout de nature magico-sacrée vidéoclippée. D’un point de vue scientifique, sa manière d’enseigner la respiration, la visualisation, etc, pourrait entraîner les mêmes mécanismes psychocorporels qui sont régis par les techniques de détente dont elle s’inspire plus ou moins directement. Aussi, de par les manipulations qu’elle applique parfois, la polarité pourrait rejoindre certaines manœuvres pratiquées par exemple en ostéopathie américaine.

 

Le problème, c’est que la théorie n’introduit rien de neuf sur le plan pratique sinon une nouvelle dépendance à un thérapeute, situation malheureusement propre à la modernisation, à la commercialisation et à l’adaptation de pratiques orientales qui avaient à l’origine le grand avantage de se pratiquer simplement comme des habitudes de vie et de manière parfaitement autonome.

 

Polarité, pas pour les petits. De grace...

 

 

ACTIVISME ANTIVACCINAL

Vaccination : le débat est clos

Réaction au film "Silence on vaccine"

2008

 

Par Bruce Tapiero, M.; Cybèle Bergeron, M.D.; Denis Blais, inf. B.Sc; Chantal Buteau, M.D.; Sandra Caron, inf. B.Sc; Jean-François Chicoine, M.D.; Anne-Marie Demers, M.D.; Pierre Gaudreault, M.D.; Céline Laferrière, M.D.; Valérie Lamarre, M.D.; Marc H. Lebel, M.D.; Philippe Ovetchkine, M.D.; Céline Rousseau, M.D.; Maude Saint-Jean, M.D, Service des maladies infectieuses du CHU Sainte-Justine

Montréal, Québec, Canada, Février 2009

 

Silence on vaccine

Réalisation: Lina B. Moreco

Production: Play Film/ Office National du Film, Qc

2008

 

À titre de pédiatres et de spécialistes des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, il est de notre devoir de nous prononcer sur la question de la vaccination, relancée par les médias, à la suite de la sortie du film « Silence, on vaccine » de Lina Moreco, produit par l’ONF. D’un point de vue médical, le film propose une vision mensongère et dangereuse de la vaccination.

 




Ce documentaire malhonnête, clairement antivaccinal, ne repose sur aucune réalité scientifique. Il n’utilise et n’exploite que des tragédies familiales, jouant ainsi sur les émotions pour faire accepter, sans démonstration aucune, un lien de causalité direct entre le vaccin et la survenue de conditions neurologiques sérieuses. Cette approche alarmiste, et la publicité qui lui est faite, pourrait entraîner des conséquences néfastes pour la santé de nos enfants.


Il faut d’abord se rappeler que la vaccination est la plus grande avancée scientifique du 20e siècle; grâce à cette pratique absolument révolutionnaire, de nombreuses maladies infantiles et mortelles sont disparues. Notre expérience sur le terrain le confirme : la diphtérie, la poliomyélite, le tétanos et la variole ont disparu de notre pratique quotidienne depuis de nombreuses années. De nos jours, grâce à la mise au point de nouveaux vaccins, nous sommes les témoins privilégiés de la disparition de la plupart des méningites, septicémies, coqueluches graves, rougeoles et varicelles compliquées qui se retrouvent malheureusement que chez des enfants non vaccinés.


Les effets secondaires

Les effets secondaires causés par les vaccins sont bien connus et très bien documentés. Les réactions adverses sévères sont beaucoup plus rares et beaucoup moins graves que celles reliées à la maladie naturelle. Semer la peur en leur endroit, ou les voir où ils ne sont pas, peut avoir des conséquences extrêmement graves. À titre d’exemple, la Grande-Bretagne vit actuellement une épidémie de rougeole suite à un mouvement antivaccinal créé par un groupe d’individus qui véhiculent des croyances sans fondements scientifiques. Conséquence : de nombreux enfants ont été hospitalisés et certains d’entre eux sont morts faute d’avoir été vaccinés contre cette maladie. La Suède et le Japon ont connu une expérience similaire avec la coqueluche. Dans l’ancienne Union soviétique, la baisse de la couverture vaccinale contre la diphtérie a entraîné 160 000 cas et 4 000 décès entre 1990 et 2001. L’histoire ancienne ainsi que l’actualité plus récente montrent clairement que les vaccins demeurent toujours le meilleur moyen de prévention pour combattre les maladies infectieuses.


Parents, familles, professionnels de la santé et journalistes ont tous un rôle à jouer et ne peuvent être complaisants devant une production cinématographique qui sème la confusion sur l’efficacité ainsi que sur la sécurité vaccinale, ne tenant pas compte de centaines d’études scientifiques reconnues internationalement qui ont confirmé systématiquement l’absence de lien entre l’immunisation et diverses entités cliniques dont la cause est encore inconnue (troubles envahissants du développement, lésions cérébrales, diabète, sclérose en plaque, cancer, syndrome de fatigue chronique, etc..)


Aucun lien entre l’autisme et la vaccination

Cette affaire est désormais transparente. Les connaissances médicales actuelles, sans cesse réactualisées par la surveillance clinique et la recherche quotidienne de pointe, rejettent absolument l’idée que le vaccin RRO (Rougeole-Rubéole-Oreillons) puisse causer l’autisme. Des études portant sur des centaines de milliers d’enfants, tant au Québec, au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni qu’au Danemark, ont clairement établi que l’autisme n’était pas plus fréquent chez les enfants vaccinés par le RRO que chez ceux qui ne l’avaient pas reçu.


L’autisme est habituellement diagnostiqué entre 18 et 30 mois. Puisque les enfants reçoivent le vaccin RRO à 12 et 18 mois, certains croient, à tort, que le vaccin peut causer l’autisme. Toutes les données publiées et non publiées au sujet du vaccin RRO et de l’autisme ont pourtant été examinées de manière indépendante par des comités d’experts de l’Institute of Medecine, de la National Academy of Science des États-Unis et de l’American Academy of Pediatrics. Ces groupes ont conclu « qu’il n’existe aucune donnée scientifique pour appuyer la théorie selon laquelle le vaccin RRO provoque l’autisme, des troubles envahissants du développement ou une maladie inflammatoire de l’intestin ». Il est navrant qu’aucune des ces évidences scientifiques n’aient été évoquées dans le film, ne laissant la place qu’à un message alarmiste utilisant des tragédies familiales.


Le thimérosal, un dérivé du mercure

La question de la toxicité potentielle d’un dérivé du mercure contenu dans certains vaccins (et dans d’autres médicaments) est l’objet d’une rumeur soutenue sur les blogues antivaccinaux ou alter vaccinaux de la dernière décennie. À l’origine, aux États Unis, le vaccin de l’hépatite B contenait du thimérosal, un composé organique du mercure utilisé pour une excellente raison : comme agent de conservation. En matière d’effets toxiques, cet éthyl-mercure n’a jamais été relié, et d’aucune espèce de façon, aux effets reconnus du méthyl-mercure contenu dans nos défunts thermomètres ou qui contamine nos poissons.


Dans « Silence, on vaccine » aucune nuance n’est faite à cet égard. De fait, aucune donnée n’indique que la présence de thimérosal dans les vaccins ait ultimement provoqué des lésions cérébrales chez les enfants. De grandes études n’ont démontré aucune différence neurologique entre les enfants qui recevaient des vaccins qui contenaient du thimérosal et ceux qui recevaient des vaccins sans thimérosal. Depuis mars 2001, tous les vaccins utilisés pour la vaccination systématique des enfants au Canada et aux États-Unis sont produits sans thimérosal. Ce produit est toujours utilisé dans certains vaccins comme le vaccin contre l’influenza (grippe). Au Canada, le Comité consultatif national d’immunisation (CCNI), a statué qu’il n’y avait aucune raison sur le plan de l’innocuité pour éviter d’utiliser des produits qui contiennent du thimerosal chez les enfants et les adultes, y compris les femmes enceintes. Le fait de retirer le thimérosal des vaccins visait à maintenir la confiance du public; cette confiance à l’égard des vaccins et la participation aux campagnes de vaccination sont essentielles à l’efficacité des programmes d’immunisation.

 

La vaccination est sécuritaire

Les vaccins rencontrent les standards les plus élevés de sécurité. Ils sont parmi les outils les plus sécuritaires de la médecine moderne. Pour être disponible au Canada, le produit doit rencontrer des critères d’innocuité élevés qui sont évalués par les autorités fédérales. De plus, chaque lot de vaccins fait l’objet d’une évaluation avant sa distribution. Le programme canadien de surveillance active de l’immunisation (IMPACT), qui couvre plus de 90% des lits d’hospitalisation pédiatrique tertiaire au pays, sous la responsabilité de la Société canadienne de pédiatrie, constitue depuis 17 ans un réseau de surveillance active des effets secondaires suivant la vaccination. Malgré le dépistage systématique de chaque hospitalisation pédiatrique pour troubles neurologiques aigus (plus de 1500 cas par année), aucune survenue d’encéphalopathie susceptible d’avoir été causée par un vaccin n’a pu être mise en évidence


Tous ne sont pas égaux face aux connaissances scientifiques et à leur interprétation, c’est pourquoi les parents et la population en général doivent continuer à faire confiance aux professionnels de la santé qui sont au cœur de l’action et en mesure de transmettre des réponses justes et franches basées sur des données scientifiques les plus récentes et leurs expériences cliniques. Il faut rejeter collectivement la sempiternelle théorie du complot regroupant tous les acteurs des systèmes académique, scientifique et économique.


Cessons de semer la peur et la confusion quant à la vaccination de nos enfants. Et nous limiterons ainsi le nombre de victimes.


SOURCES


Les vaccins : avoir la piqûre pour la santé de votre enfant. Édition Société canadienne de pédiatrie, 2006

Organisation mondiale de la Santé : www.who.int/immunization_safety/fr/index

Institute of Medecine (IOM) : www.iom.edu

Coalition Canadienne pour la sensibilisation et la promotion de la vaccination : www.immunize.cpha.ca/francais

Guide Canadien d’immunisation, septième édition, 2006

Vaccines and Autism : A tale of shifting Hypotheses. Clinical Infectious diseases, p. 456 - 61, février 2009

Relevé des maladies transmissibles au Canada. 1er juillet 2007, volume 33, DCC-6.

IMPACT après 17 ans : Des leçons apprises au sujet d’un réseautage réussi. Paediatrics and Child Health, janvier 2009, p 36.


FICHE TECHNIQUE


SILENCE, ON VACCINE- Réalisation: Lina B. Moreco- Production: Play film/ Office national du film, Québec, Canada, 2008, 86 min 43 s

 

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

Les aimants dans le traitement de la douleur: effet attractif ou effet placébo ?

2008

 

Par Nadine Kabwe, pédiatre

Sherbrooke, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait de Servicevie.com/ Trancontinental

Dernière révision : 2 janvier 2008

 

Un coussin magnétique qui, pendant que vous dormez comme un bébé, vous protège du cancer, de l’arthrite, de l’ostéoporose et de l’hypertension, qui diminue les spasmes musculaires de la sclérose en plaques et qui augmente les lymphocytes T qui font si cruellement défaut dans le sang des sidatiques… Dieu aurait-il enfin pardonné tous leurs péchés aux humains pour leur vendre (70 $ CDN) un remède aussi miraculeux ?  Les aimants auraient-ils enfin vaincu la douleur ?

 

La douleur fait mal. C’est la raison pour laquelle, à part les sado-masos que la douceur n’excite plus, les mal-aimés qui ont l’habitude de s’y faire ou quelques croyants qui croient plaire à Dieu en souffrant, la plupart des gens préfèreraient s’en passer. La douleur c’est le mal, et toutes les cultures ont leurs stratégies pour la conjurer : cela va du sacrifice des jeunes vierges au premier jour de la lune, jusqu’à l’aspirine dissoute dans un verre d’eau, en passant par l’utilisation des aimants pour influencer les courants magnétiques qui passent aussi dans notre corps, petit bout de Cosmos ambulant. 

 

Une étude a été publiée en 2007 sur le traitement de la douleur à l’aide qui comparait l’effet des aimants statiques à celui de placebos dans des situations de souffrance apparentées. Cette étude avait pour principal intérêt d’être une revue de différentes études faites sur la question ; c’est en quelque sorte une étude sur les études, ce qu’on appelle une méta-analyse, avec point de vue critique (comme dans n’importe quelle étude). Conclusion : l’analyse statistique de toutes ces études révisées n’a montré aucune différence significative dans l’atténuation de la douleur entre les aimants et les placébos. De ce fait, les auteurs concluent que l’utilisation d’aimants statiques comme traitement contre la douleur n’est pas recommandée… et rien n’a jamais prouvé qu’elle puisse être recommandable ! Dans le cas de l’arthrose cependant, les données disponibles ne suffisaient pas pour exclure un avantage clinique.

 

Enlève-moi le mal et je te donnerai ce que ton coeur désire

Enlever le mal, le soustraire, le faire disparaître, l’anéantir, tous ces mots illustrent le combat que livrent nos semblables contre la souffrance depuis la nuit des temps. La souffrance du corps nous renvoie à notre propre limite, elle nous ramène à notre état d’individu fragile, sensible, bref, humain. Dès lors, comment s’étonner que depuis des siècles, plusieurs aient fantasmé sur le pouvoir qu’auraient les aimants à attirer les maladies et les faire sortir du corps. Après tout, les aimants font aussi tenir le numéro d’Info Santé sur la porte du frigo…  Malheureusement, on n’a pas trouvé d’aimant assez puissant à coller au frigo pour attirer le gras trans hors des saucisses à hot dog qu’il renferme…

 

Paracelse, théâtre No et médecine énergétique

Un des précurseurs de l’utilisation d’aimants à des fins thérapeutiques fut Paracelse, un médecin, alchimiste et chirurgien suisse du 16ème siècle. Selon lui, l’aimant a le pouvoir de recentrer la maladie, de la circonscrire et de l’arrêter.

 

C’est au 18ème siècle que Franz-Anton Mesmer, un médecin allemand très controversé, émet une théorie sur l'existence d'un fluide universel pouvant être canalisé et isolé à des fins thérapeutiques : le magnétisme animal. Selon ses principes, les aimants étaient des matériaux aidant à drainer le flux de ce fluide vers les patients. Cette théorie fut abandonnée vers le milieu du 19ème siècle après un rapport de l’Académie de médecine de France concluant à l’inexistence du fluide universel. Mais au 20ème siècle, la création d’aimants permanents plus puissants devait raviver l’intérêt pour les aimants à des fins thérapeutiques.

 

L’influence du Japon n’est pas à négliger. Initialement développée sous le nom de Taiki-thérapie, l’utilisation d’aimants s’inspire des figures posturales imposées par la philosophie Nô, selon laquelle l’immobilité, et de ce fait l’action apparemment immobile de métaux ou de petites pastilles aimantés collées sur des points d’acupuncture, auraient une action curative ou génératrice de santé.

 

De nos jours, en médecines non conventionnelles, l’utilisation d’aimants sur les sites d’acupuncture s’appelle la magnétothérapie. Dans cette technique aux origines mixtes, on considère que le corps humain est parcouru de différents flux, principe que l’on retrouve également dans la majorité des thérapies dites « énergétiques ». L’aimant n’est ni un passeur ni un intermédiaire immobile, il agit, non pas sur l’homme, mais sur l’énergie qui traverse l’homme.

 

Moutons de Panurge ou Dépositaires du Fluide universel ?

La plupart des études sur les effets biologiques des champs magnétiques réguliers se sont faites sur les champs de haute fréquence, comme ceux utilisés dans les aimants d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) tandis que les études portant sur les produits de thérapie magnétique sont très limitées. Peu de données intéressantes donc, d’où l’intérêt de les rassembler pour en faire une méta-analyse et tenter d’y voir plus clair : combinées, ces études nous confirment donc que les aimants n’apportent aucune  aucune différence significative dans l’atténuation de la douleur.

 

Les conclusions portées par cette dernière étude sur l’utilisation d’aimants dans le traitement de la douleur doivent donc nous alarmer. À l’image de la polémique suscitée par le « mesmérisme », cette théorie du magnétisme animal, une critique sérieuse doit être faite sur toute pratique qui ne va pas dans l’intérêt du patient, qui ne vise qu’à s’enrichir à ses dépens ou qui pourrait carrément lui nuire.

 

Force d’attraction à laquelle nous devons résister, les aimants n’attirent pas nécessairement le mal hors du corps. 

 

SOURCES

 

Pittler Max H. Static magnets for reducing pain: systematic review and meta-analysis of randomized trials, CMAJ 2007; 177(7):736-42.

Commission des praticiens de médecine douce au Québec.http://www.cpmdq.com/

« Quakwatch », le guide sur la fraude et le charlatanisme du Dr Stephen Barrett :http://www.allerg.qc.ca/quackwatchfrancais.html

 

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

Le nouvel age: une manière de "previntion"

1993/2012

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Adapté de "Nouvel age: la belle histoire, "Les grandes gueules", journal Voir 1993

Publication électronique, Le monde est ailleurs, 21 janvier 2012

 

Le Nouvel âge, c’est quoi au juste? Le dessert préféré d’une princesse moyenâgeuse, Jojo sur son quartier de lune? Est-ce le spirituel, le matériel ou l’inverse? Difficile de répondre, vous répliqueront les adeptes en arborant leurs produits dérivés, leurs planètes et leurs thérapeutes « New Age ».

 

Le nouvel-âge, pas vrai, vous ne connaissez pas, vraiment, vraiment pas? Même pas dans une vie antérieure? Allez, rebirthez-vous un peu et frottez-moi ce pied dévitalisé pour renouer avec votre « prénatal »! Et n’oublie pas tes ongles d’orteils, gros lou.

 

Fin de siècle

Chroniqueurs, auteurs, conférenciers ou thérapeutes tout court, ces « Peace and Love » de fin de siècle se comptent maintenant par milliers. Plus portés sur la santé globale d’autrui que sur le yéyé, ils ne s’en prennent plus seulement aux marguerites, mais étiolent aussi nos malades.

 

Certains ont découvert la voie astrale le jour où leur tourtière de seitan s’est mise à goûter la vraie tourtière. D’autres ont eu les chakras lousses ou le côlon encrassé. Plusieurs ont perdu confiance en la famille, parce que leur mononcle Gérard a voulu coucher avec eux; et en la médecine, parce que le docteur Gérard a voulu coucher avec eux; et en la communion parce que le frère Gérard a voulu coucher avec eux. Tous sont plus ou moins les produits d’une inculture scientifique qui reproche à la raison d’être trop « mentale », et tous utilisent leur vécu interpersonnel d’expériences conflictuelles pour se soigner eux-mêmes en donnant l’impression à d’autres de se faire soigner par eux.

 

Peu importent les diplômes, ils en inventent. Quant au « name dropping », ils s’y connaissent : Laborit, Selye, "name it!". Peu importe qu’ils sachent guérir ou non, puisque l’essentiel, c’est de prévenir. « Prévention », le mot magique, plus efficient encore si vous prononcez par le nez : « prévintion »

 

L’autre jour, l’un de ces "académiciens du fluide" divaguait à la télé sur la "dépolarisation énergétique" des enfants. Ce n’était pas le charisme qui manquait à ce thérapeute, c’était de l’épaisseur. Plus qu’insoutenable, sa légèreté donnait quasiment bon goût à sa fumisterie. Je sortais tout juste d’une nuit de garde à l’urgence – enfants leucémiques, maltraités, pauvres, etc. Chaleureusement, j’avais soigné ces gamins pour les aider à recouvrer une santé meilleure et pour qu’ils retournent le plus rapidement possible à leur vie et à des plaisirs qui n’appartiennent qu’à eux. Et non à ceux qui voudraient troquer leurs trips de Nintendo pour un communisme ésotérique d’adulte éploré. «Faites-le taire!», criai-je à ma télé, pour que le thérapeute cesse enfin sa pédiatrie malsaine.

 

Contraint au pitonnage, j’ai abouti au canal 9, où je suis tombé sur Marisol, le top dans le genre. J’ai encore pitonné. Ailleurs, une chiromancienne examinait le mont de Vénus de Denis Bergeron; Bobinette s’est excitée, alors que j’ai repitonné. Ici, Serge Laprade (qu’un psoriasis aura propulsé au rang de thérapeute) nous promettait de rallonger nos pénis grâce à une technique introspective du genre "écoute ton corps". J’ai répitonné. «Attends, t’as pas tout vu». J’ai pitonné encore et encore. Le Nouvel Âge, c’est pitonner jusqu’à satiété.

 

Une philo guérisseuse?

Le Nouvel âge, «c’est aussi une philosophie», commentera la porte-parole du salon du même nom : le salon du nouvel-âge. Un ramassis de philos orientales sur disque laser, mais une philo tout de même, je suis prêt à lui concéder cela. J’ai beaucoup appris de l’ayurvédisme, d’Hubert Reeves, et je jubile quand Jacques Languirand me parle de l’Univers comme n’étant pas «une structure hiérarchisée fonctionnant comme une mécanique, mais plutôt une structure d’éléments interreliés, de l’économie à la religion, en passant par la santé». Quand Languirand me renseigne sur les plaisirs trippatifs du nirvana, il m’informe, il m’amuse, il me grandit, mais il se garde bien de me soigner. Bien au contraire, il m’en laisse le soin. Je lui ai d’ailleurs dit l’autre jour combien j’appréciais que son show se termine avant la vente de scapulaires guérisseurs, ce qui n’est malheureusement pas le propre du Salon du Nouvel Âge et de ses indissociables médecines douces, où le mysticisme vire vite à l’alibi métaphysique, au commerce de pacotilles glanées à la dernière vente de garage de m’am Minou, et – bien pire encore – à la thérapeutisation de notre quotidien.

 

Les thérapeutes du New Age transforment nos "pet shops" en zoothérapie, nos concerts en musicothérapie, nos forêts en silvotherapie et nos algues marines en algothérapie. À les écouter, notre vie n’est qu’une longue maladie dont ils préviennent tous les aléas par l’eau, l’art et le tricot –, et ça, jusqu’à notre mort et bien après, puisqu’il y a la vie après la mort, et que tout recommence avec la vie avant la vie, le tunnel, le rebirth et la métamorphose lelouchienne.

 

Le Nouvel Âge des bourreaux, c’est l’apanage des thérapeutes de fortune mais également des plus fortunés. C’est un Français venu nous vendre ses aimants magnétique «après être tombé en amour avec le Québec». C’est une infirmière «ayant emprunté le virage alternatif», car trop écœurée de se faire vomir par-dessus pour un salaire dérisoire. C’est des pharmaciens qui font les philanthropes en Afrique, après gavé leurs compatriotes de granules.

 

Et c’est le médecin holiste qui a tort de confondre sa vision de la vie avec la nature du service professionnel qu’il a à rendre. Mais ça, c’est une autre histoire, «C’est votre histoire». Et si on s’y mettait pour en inventer une autre?

 

Allez, c’est à ton tour, un peu d’imagination, gros lou

 

TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES/ MEDECINES DIFFERENTES

L'homéopathie: voulez-vous des granules?

1992/2012

 

Par Jean-François Chicoine, pédiatre

Adapté de la revue Actualité médicale, Montreal, 1992

Publication électronique, Le monde est ailleurs 2012

 

Éthique, l’homéopathie? Bien sûr que non! Un jour, où j’ai entendu un homéopathe prétendre que sa médecine était autre chose qu’un simple placebo parce qu’elle fonctionnait «même avec les enfants et les animaux». Les bébés que je soigne sont des chiens, évidemment. Et leurs parents, des moutons?

 

Née il y a environ 200 ans dans une ambiance moliéresque où le principe curatif directeur était de soigner par les contraires, c’est-à-dire par soustraction au moyen de lavements, de purgatifs et de saignées, l’homéopathie de Samuel Hahnemann (1755-1843), un médecin allemand émigré dans les salons parisiens, allait prôner l’excès inverse : le traitement par les semblables reposant sur le fameux principe de similitude. Ce principe, qui a déjà fait couler trop d’encre, d’énergie et de porte-monnaie, consiste à faire d’une substance capable de produire des symptômes quelconques chez une personne bien portance, une soi-disant solution thérapeutique éventuelle contre les mêmes symptômes apparus chez un malade. Difficile à comprendre? Normal : c’est incompréhensible.

 

D’essais en erreurs, mais surtout en erreurs, il faut croire, Hahnemann allait fabriquer des remèdes qui aggraveraient l’état de ses malades. Au départ, lui seul était à même de croire que des champignons de Paris viendraient à bout du muguet des bébés. Pour tenter de convaincre ses dissidents, Hahnemann diluerait enfin ses médicaments pour n’en produire ultérieurement que des doses infinitésimales, c’est-à-dire impossibles à détecter aussi bien par les moyens de l’époque que par ceux dont nous disposons aujourd’hui. L’idée lui avait été partiellement inspirée par Paracelse, dont la philosophie alchimique moyenâgeuse dite aussi «chimie sublime» consistait, comme l’homéopathie, à inculquer à la matière pharmacologique une «énergie» empreinte d’occultisme, d’ésotérisme et de mysticisme, en d’autres mots une efficacité guérisseuse impossible à expliquer en termes cognitifs ou à vérifier par une méthodologie rationnelle. Pour mousser les soi-disant performances de ses dilutions, Hahnemann introduirait finalement le principe de dynamisation qui consiste à brasser bien fort le remède en question, de manière à magnifier sa «mémoire énergétique», c’est-à-dire sa mystérieuse souvenance du passage de la substance dont il a été objectivement évacué. Exemple : brasser bien fort l’eau des Grands Lacs pour qu’ils se souviennent des déchets uriques du dernier caniche y ayant fait son pipi.

 

Boudée ensuite pendant des années à cause de chicanes de clocher entre homéopathes pondéraux et infinitésimaux, et grâce aussi au bon sens commun et au succès de la médecine scientifique, mais maintenant réintroduite en force par plusieurs sociétés parascientifiques au bon parler français, l’homéopathie a retrouvé une popularité contagieuse et lucrative au moment même où médecins et malades s’adonnent encore trop souvent à la surconsommation et ont justement tendance à interpréter les prescriptions de la médecine scientifique et humaniste comme étant allopathique : abus d’antitussifs, d’antidiarrhéique, d’antipyrétiques, etc. La situation est redevenue moliéresque. «Contraria» contre «similia». La roue n’a pas été réinventée et le pauvre monde, riche ou pauvre, se fait encore baiser. La tendance est à la corruption. La magouille est branchée, l’altérité en friche.

 

Je serais cynique? Pas du tout. J’ai l’œil, c’est tout, et je ne suis pas le seul. Il suffit de vouloir voir.

 

Une méta-analyse après l'autre

Malgré la multitude de tirés à part et d’études soi-disant concluantes qui encombrent les mains et les tablettes des initiés de la similitude, tous les rapports sérieux et les méta-analyses récentes – des publications que je connais pour les avoir lus à dore pondérale – s’accordent pour dire que l’homéopathie n’a jamais fait la preuve qu’elle était autre chose qu’une optimisation importante de l’effet placebo par un questionnaire personnalisé et l’ingestion de petites granules sucrées aussi ravissantes qu’une boite de Prismacolor.

 

Malgré ses allures techniques et pharmaceutiques, l’homéopathie est finalement aussi farfelue que bien d’autres médecines dites douces fondées sur des notions énergiques : c’est simplement son marketing qui est plus astucieux. Au lieu d’attribuer l’énergie magique à une technique ancestrale, chinoise ou hindouiste, elle l’injecte habilement au plus grand transsudat de notre marketing contemporain : le médicament. L’effet placebo étant un effet scientifiquement documenté capable d’expliquer une action thérapeutique chez 30 à 40 pour cent, même chez 65 pour cent des sujets dans certaines populations plutôt confiantes et religieuses – comme au Québec – il n’est donc pas du tout surprenant d’entendre dire que le remède fonctionne. Que ses adeptes, avec l’apôtre Jacques Benveniste (1935-2004) en tête de liste, imputent ses soi-disant performances à la mémoire de l’eau et à des signaux de nature électromagnétique est par contre une autre histoire, malheureuse il va sans dire, mais qui ne devrait pas nous inciter à abandonner nos grille-pain au cas où ils dépolarisent les communications intermoléculaires de nos toasts.

 

Placebo et effet placebo

Éthique, l’homéopathie? Bien sûr que non! L’homéopathie est antiscientifique, mais, bien pire encore, antihumaniste. Le problème vient de la confusion qu’elle installe à la perfection entre placebo et effet placebo.

 

L’homéopathie est porteuse d’effet placebo, parfois désirable certainement, mais elle ne répond pas à l’usage thérapeutique du placebo, car elle n’est pas « peu coûteuse », elle est parfois administrée pour de longues durées et, surtout, elle n’est pas intentionnelle de la part du thérapeute homéopathe, qui croit le plus souvent à sa médecine «au cas où ça marcherait» et qui sauve ainsi un précieux temps, comme médecin ou pharmacien ou homéopathe tout court. L’usage du médicament homéopathique s’avère donc contraire à l’éthique humaniste de la pratique médicale. D’ailleurs, il m’apparait beaucoup plus vicieux qu’elle soit encouragée par certains de mes pairs que par des non-experts aux faux diplômes ou aux certificats onanistes.

 

Le problème est de taille, d’autant plus que les enjeux sont très politiques. L’homéopathie étant inoffensive, il est évident que son efficacité placebo est tentante pour Big Brother, pour le soulagement du peuple, et à bon prix. L’homéopathie est tentante, parce que lorsqu’on y croit, elle risque de marcher, et on s’entend : s’il n’y a pas grand-chose à soigner.

 

On imagine facilement le danger qui plane, le génocide de la conscience au profit d’un fragment de bonheur homéopathique qui n’est pas sans rappeler l’éternité sacrée du soma ingurgité par les personnages déshumanisés du «meilleur des mondes» d’Aldous Huxley.

 

Flacon que j’aime

C’est toi que j’ai vanté

Flacon que j’aime

Que m’a-t-on décanté?

 

Ces perspectives sont insoutenables pour tous ceux qui croient à la nature humaine… y compris à celle des bébés, bien sûr. Les bébés ne sont pas des chiens, vous saviez? Et leurs parents, autres choses que des citoyens moutonniers.

 

 

Dernière révision: Février 2016

 

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