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Articles / Voyages, migration, ethnicité & cultures

 

Voyages, migration, interculturalisme, des articles de l'équipe et des collaborateurs de Le monde est ailleurs

 

 

        

 

Photo LMEA Transit à Anchorage, Étas-Unis, 2001

 

 

PRATIQUES CULTURELLES/RELIGIEUSES

Circoncision ou prépucectomie: à tort ou à raison?

2014


Par Olivier Aynaud, andrologue,

Paris, France

Avec Le monde est ailleurs

Librement adapté de Servicevie.com 2007

& de Pathologie de la verge d’olivier Aynaud & Jean-Michel Casanova, Elsevier/Masson, 1998

Derniere révision: 29 novembre 2007/Adapté LMEA 2014

 

 

Circoncision ou prépucectomie : deux mots qui désignent le même acte,  c’est-à-dire la posthectomie… ou ablation du prépuce.  On pratique la circoncision pour des motifs religieux ou traditionnels, et la prépucectomie pour des raisons d’hygiène ou de santé.  Les deux mots ont raison, et pour certains, les deux pratiques ont tort. 

 

L’exérèse du prépuce masculin se pratique depuis la nuit des temps sous le nom de circoncision, du latin circumcidere, qui signifie « couper autour ». C’est aussi en latin qu’on dit : « In Christo Jesu neque circumcisionem aliquid valere, neque praeputium » (« Dans le Christ Jésus, ni la circoncision ni le prépuce n’ont de valeur »).  Les chirurgiens pratiquent pour leur part la prépucectomie. En jeu : le prépuce.

 

Mais à quoi peut bien servir le prépuce ?

Qu’est-ce qui déclenche tant de passions ? Un morceau de peau, c’est tout.

 

C’est un morceau de peau, d’environ 3 cm de long sur 5 cm de circonférence, recouvrant le gland pénien, qui n’est pas considéré comme une erreur anatomique ou comme une excroissance de chair inutile, même si le pénis ne représente que 1% de la surface corporelle masculine. Le morceau de peau en question protège le gland, qui est la partie la plus érogène du corps,  et contribue aux sensations tactiles par son réseau de nerfs. La nature des tissus qui le recouvrent en fait un petit cousin de l’ongle, mais le gland n’est pas une griffe…

 

Le couteau du prêtre

Si la circoncision n’est pas une prescription obligatoire pour les Chrétiens, elle l’est pour les Juifs et les Musulmans qui respectent, par ce geste, un ordre donné par Dieu à leur ancêtre commun, Abraham.  Par ce sacrifice involontaire, le petit Juif, à huit jours d’existence, est admis dans sa communauté et participe à l’alliance de son peuple avec Dieu : c’est l’équivalent du baptême des Chrétiens.  Chez les Musulmans, la circoncision marque aussi le passage à l’âge adulte : épreuve subie à froid par le participant préadolescent, devant public. 

 

Chez les Dogons du Mali, qui ont leur propre religion, le prépuce a une valeur féminine dont il faut affranchir le garçon : circoncis, il devient un homme, libéré de ce signe de faiblesse.  

 

Les Grecs la pratiquaient en prévision des jouissances sexuelles : on croyait que le prépuce entravait le plaisir.

 

À l’inverse, certains Juifs considéraient ce petit repli tégumentaire comme une  chose obscène, qui incitait au plaisir sexuel : la circoncision devenait ici équivalent mâle du rituel de l’excision, dont la cruauté n’a pas beaucoup d’équivalents sur terre. 

 

Les mangeurs de céréales

Les Américains, champions mondiaux de la circoncision pour des raisons non religieuses, la pratiquaient aussi, à l’origine, pour des raisons morales : le prépuce incitait à la masturbation, mère de tous les fléaux de l’humanité, croyait-on à l’époque victorienne. John Harvey Kellogg, l’inventeur des Corn Flakes, recommandait la circoncision à froid, sans anesthésie, pour bien stigmatiser cette partie du corps dans l’esprit du jeune garçon, et décourager toute tentative d’exploration manuelle, pendant les temps libres.

 

Selon des médecins contemporains, la prépucectomie pratiquée de nos jours aux Etats-Unis ne répond plus tellement à des impératifs moraux ni même hygiénistes, compte tenu de la grande rareté des problèmes de santé attribuables à la présence du prépuce.  Néanmoins, on continue de le couper, parce que ça fait plus joli, que c’est comme papa. 

 

Pour toutes ces excellentes raisons et bien d’autres encore, il y a plus d’un milliard de mâles à travers le monde qui se baladent sans ce petit morceau de peau. Un homme sur trois ! 

 

Le Saint Prépuce

Il n’y a pas de dogme chrétien à propos de la circoncision : c’est selon vot’ bon cœur, messieurs dames.  Mais bébé Jésus a été circoncis parce qu’il est né juif.

 

Qui dit circoncision dit ablation.  Quelqu’un, aux premières heures de notre ère, sans doute éclairé par l’étoile des Mages, a flairé la bonne affaire et s’est emparé du prépuce, pressentant que le Gland qui s’en détachait allait beaucoup faire parler de Lui.  Dix neuf siècles avant la pasteurisation, dans les conditions de conservation rudimentaires de l’époque, il a bien fait les choses parce qu’on peut suivre la trace du Saint Prépuce jusqu’au au Moyen-Âge.  En fait, non pas la trace, mais leurs traces, puisqu’à une certaine époque, il y avait quinzaine de Saint Prépuce en circulation.  Jésus, mort à Jérusalem, n’est pourtant pas né à Tchernobyl.  Il est grand le mystère de la Foi… 

 

Le bistouri du chirurgien

La circoncision est un acte rituel, et non pas un geste chirurgical, dans son sens professionnel.

 

L’acte chirurgical de la prépucectomie se pratique pour sa part dans le cadre d’une anomalie du prépuce, soit un phimosis, soit une pathologie dermatologique ou autres causes médicales. En fait, le terme chirurgical exact est bien la posthectomie : lors de notre dernière recherche bibliographique, nous avons trouvé une dizaine de titres sur ce sujet,  contre 3000 sur la prépucectomie et 4000 sur la circoncision. 

 

Quand les chirurgiens pratiquent la circoncision religieuse

Les enfants Juifs nés en Europe pendant la deuxième guerre mondiale n’ont pas tous été circoncis : ce signe les identifiait trop facilement aux yeux des Nazis et de leurs collaborateurs qui les traquaient partout. Ainsi, après la guerre, de nombreux jeunes Juifs voulaient honorer leurs obligations rituelles, et pour cela ont fait appel à la chirurgie moderne. Cette demande n’avait pas de justification pathologique mais une justification identitaire.

Plus récemment, nous avons du pratiquer une exérèse du prépuce à un jeune de 21 ans qui souffrait d’une condylomatose diffuse circonférencielle : 18 mois après l’intervention, il a réclamé un certificat de non circoncision. Nous lui avons donc remis le compte-rendu opératoire qui précisait la nature de l’intervention : une prépucectomie, et non pas une circoncision.

 

Circoncision ou prépucectomie ?

Il n’y a pas là d’inflation linguistique. Nous voyons bien que les deux termes doivent exister car ils ont chacun leur définition. Le terme prépucectomie est dans le registre d’une intervention chirurgicale pour une pathologie donnée. Et différentes techniques chirurgicales sont possibles pour faire l’exérèse de ces quelques centimètres carrés de peau. Par contre, le terme de circoncision est bien dans le registre du symbolique.

 

Ablation du prépuce, exérèse du prépuce, circoncision, prépucectomie, ou même posthectomie… Beaucoup de mots, beaucoup d’approches, beaucoup de justifications…

 

Mais un seul prépuce ! Tant mieux pour certains, tant pis pour d'autres.

 

 

ETHNOMEDECINE

Tache mongoloide: Gerard est-il raciste?

2011

 

Par Jean-Francois chicoine, pédiatre

Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Adapté en 2011 de L'enfant adopté dans le monde 2003 & www.servicevie.com/Transcontinental 2008

Dernière révision : 22 juin 2011

 

Photo LMEA Tache mongoloide dorsale, Vietnam 2004

 

 

Tache mongoloïde, mongolique, ethnique…drôles de termes pour une marque portée par la majorité des enfants du monde, à leur naissance. Mais qu’est ce exactement demande Gerard? En France, quand Gerard et Jacqueline se font dire que la tache bleutée sur les fesses de leur nouveau-né. Gerard regarde Jacqueline d’une drôle de façon. C’est que dans leur boulangerie de Corrèze, des mongols, il n’en passe pas souvent.

 

J’en conviens, la médecine a déjà fait mieux pour trouver le nom d’une caractéristique congénitale. Si les termes n’ont pas l’air politiquement très correct, ce qu’ils désignent est définitivement bénin. Et bien que les termes «mongolique» ou «mongoloïde» se rapprochent à l’oreille de «mongolien», la tache n’a rien à voir avec la trisomie 21, à laquelle l’évocation du mongolisme se rapporte souvent, dans l’imagerie populaire.

 

De l’Asie aux Amériques

Cette tache de naissance (ou naevus pigmentaire– rien à voir avec les Pygmées) est un petit cadeau que les habitants d’Asie centrale ont légué au génotype humain au cours de l’Histoire. Quelque 90% des bébés asiatiques l’arborent fièrement à la naissance. Mais pas longtemps, car elle disparaît généralement au bout de quelques mois, même si rarement elle se maintient jusqu’à l’âge adulte.

Description : Click here to find out more!

On trouve également la tache mongoloïde chez nombre d’enfants originaires du pourtour méditerranéen et d’Afrique, bien que la peau noire des petits Africains la rende forcément moins visible. Enfin, on la remarque aussi chez les Premières Nations amérindiennes: confirmation de plus que les premiers occupants de l’Amérique sont venus d’Asie via le détroit de Béring.

 

Les Huns et les Autres

Elle, la tache mongoloïde apparaît plus rarement chez les petits Caucasiens, les humains à peau blanche originaires de l’Europe. Explication donnée à Gérard et Jacqueline : « Un de vos ancêtres a dû fricoter avec Attila ou ses Huns quand ils ont envahi la Gaule en 451. La tache de votre petit Michael est un souvenir de ces lointaines invasions barbares »…  Les Français sont tellement férus d’histoire, que Gérard et Jacqueline sont bien contents de cette explication… « Je n’ai rien contre les étrangers, mais ceux-là ne sont pas de chez nous », disait le vieux sage gaulois Agecanonix, dans « Le cadeau de César ».

 

Et quand Richard et Sylvie, de Rivière-du-Loup au Québec, s’étonnent d’un tel « stigmate » sur les fesses de leur petite Mélanie,  ils sont tout aussi satisfaits d’apprendre qu’ils ont peut-être un peu de sang des Premières nations dans leurs veines…  comme beaucoup  d’autres Québécois.  

 

On l’a dans le dos

De coloration bleu-vert ou plus rarement bleu-gris, cette tache mongoloïde ressemble à une éclaboussure d’encre. Située quatre fois sur cinq dans le bas du dos, elle est comme cachée dans la région du sacrum.

 

Une fois sur quatre, la tache se retrouve dans la région des épaules ou, en fréquences décroissantes, sur le coccyx, sur la face dorsale de la main ou de l’avant-bras, voire – chez 1 % des bébés – sur la face dorsale du pied.

 

Quand ce n’est pas Gérard qui s’inquiète, c’est la gardienne

À l’occasion, des soignants, des gardiennes ou des éducatrices non avisées confondent la tache mongoloïde avec des hématomes anciens ou des marques potentielles de violence. Or, il n’en est rien : les taches mongoloïdes sont présentes chez n’importe quel bébé dont les ancêtres arboraient un iota de pigmentation.

 

Les invasions barbares

Voyez ce proverbe russe, véridique, je vous le garantis: «Grattez le Russe et vous y trouverez le Jaune». La maxime témoigne bien du caractère multiracial des gènes. Ici, c’est l’hérédité mongole des grands blonds moscovites qui est en cause. Pâles et aux traits tirés, ces Russes sont pourtant bien dissemblables des peaux basanées et joufflues des descendants de Gengis Khan et d’Attila. Chef des invasions barbares, Attila était d’origine turco-mongolo-russe. Il ratissait large et engrossait beaucoup. Ce roi des tribus Huns faisait bien du millage avec sa tâche.

 

Les mots interpellent, les taches passent. Il n’y a que les ancêtres qui restent. Nouveau nom proposé pour ce nævus pigmentaire: «tache historique». Ça ferait chic, non?

 

«One mouse, one world», claironnait Walt Disney. Nous avons ça, et beaucoup d’autres choses en commun!

 

SOURCES

 

Chicoine, JF, Germain, P et Lemieux, J. L’enfant adopté dans le monde en quinze chapitres et demi, Montréal, Éditions de l’hôpital Sainte-Justine, 2003.

Cordova, Clin Ped , 20(11): 714, 1981.

Chicoine, J.F. La santé de l’enfant adopté dans Baril, R. et Chicoine J.F. Abandon, adoption, autres mondes, www.meanomadis.com 2006.

Chicoine J.-F. www.servicevie.com 2008

 

 

IMMIGRATION

Santé et immigration au canada : des examens qui n’en disent pas beaucoup

2008

 

Par Tasnime Akbaraly, médecin généraliste

Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile (PRAIDA)

CLSC Côte-des-Neiges, Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait adapté de www.servicevie.com/Transcontinental

Dernière revision: 2008

 

Le profil des candidats à l’immigration au Canada est très changeant et les examens médicaux que le gouvernement leur fait passer sont incomplets.  D’où une certaine confusion quant à l’état général de santé de nos immigrants et à la protection du public en général. 

 

Monsieur Singh, un vieil homme à la longue barbe blanche et dignement coiffé de son turban, me regarde d’un œil méfiant. Devant l’insistance de sa bru, une Québécoise de souche qui est ma patiente depuis plusieurs années déjà, il a finalement accepté de l’accompagner en consultation aujourd’hui. Elle se dit soulagée, car elle craint que son beau-père, qui joue beaucoup avec ses petits-enfants, ne soit atteint d’une  « maladie tropicale ». Ce digne monsieur indien, quant à lui, finit par m’avouer qu’étant maintenant immigrant reçu, il n’a plus rien à craindre. D’ailleurs, rien ne pressait puisque son examen médical d’immigration était normal.

 

Des pratiques sanitaires centenaires

Le Canada est traditionnellement un pays d’immigration. On est bien sûr très loin des premiers migrants européens, victimes de scorbut et de tuberculose, qui sont arrivés en bateau à la fin du XIXe siècle. En 2006, 251 649 immigrants pleins d’espoir ont posé leurs valises au Canada ; espoir d’un avenir meilleur et surtout, en santé.

 

Le nombre d’immigrants augmente, on le sait, mais également la provenance des nouveaux arrivants se fait de plus en plus diversifiée : ils sont maintenant issus de plus d’une vingtaine de pays dont la Chine, l’Inde, les Philippines et le Pakistan. Malgré cette évolution, les politiques sanitaires canadiennes, elles, sont restées relativement les mêmes. Les objectifs d’avant la Confédération, qui justifiaient la mise en quarantaine des lépreux, sont à ce jour les mêmes, pour tout visiteur, quels que soient sa provenance ou son type de migration.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) prévoit trois motifs sanitaires d’inadmissibilité à l’immigration :

 

     Danger pour la santé publique ( ex. contagion)

     Danger pour la sécurité publique ( ex. crime organisé, terrorisme)

     Fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé

 

L’examen d’immigration n’a donc nullement pour objectif d’évaluer l’état de santé global d’un individu. Il vise fondamentalement à protéger les citoyens contre des maladies qui sont endémiques au delà des frontières canadiennes (la tuberculose par exemple). Accessoirement, il vise aussi à éviter la prise en charge d’individus souffrant de maladies dont les traitements seraient coûteux : les insuffisants rénaux terminaux dont l’état nécessite une dialyse, entre autres. Les demandeurs d’asile et réfugiés sont naturellement exemptés de ce critère, leur vie étant en jeu pour d’autres raisons.

 

L’examen médical fédéral d’immigration à l’étranger 

L’examen médical fédéral d’immigration est toujours le même, quel que soit l’endroit où il est pratiqué ou le type de migrant qui est visé.  Des médecins désignés par le gouvernement canadien à travers le monde sont appelés à appliquer des protocoles de questionnaire et d’examen physique sommaires. Ces derniers sont basés pour la plupart sur la bonne volonté du requérant à divulguer l’information. On y voit déjà une certaine lacune, puisque le migrant sait que ce qu’il révèle peut avoir une incidence sur ses chances d’être accepté ou non.

 

L’examen médical comporte aussi des tests d’investigation, très limités, qui ont peu changé depuis les quarante dernières années :

 

     Analyse d’urine si âgé > 5 ans ;

     Test pour la syphilis si âgé > 15 ans ;

     Test pour le VIH pour tous (depuis janvier 2002) ;

     Radiographie des poumons pour dépister la tuberculose, si âgé > 11 ans.

 

Qui ne cherche pas ne trouve pas

Donc, malgré les origines de plus en plus diverses des nouveaux arrivants, l’âge reste le seul facteur pouvant faire varier l’examen médical. On fait toujours aussi peu de cas de l’origine ou des antécédents médicaux de l’individu migrateur. Ainsi, on fait passer le même examen de santé à l’immigrant investisseur sélectionné dans son pays, au réfugié dans son camp ou au demandeur d’asile qui est déjà au Canada.

 

De plus, de nouvelles maladies qui pourraient avoir un impact sur la société canadienne––puisque là est la préoccupation de la LIPR  – ne sont pas prises en considération. Il n’y a qu’à penser à l’hépatite B, endémique en Asie du Sud-Est, ou aux infections transmises sexuellement qui peuvent être totalement asymptomatiques, comme la chlamydia. Par ailleurs, le test VIH ponctuel ne tient pas compte de la «période fenêtre », c’est-à-dire du délai pendant lequel une personne peut être atteinte du VIH et  le transmettre, sans que le virus soit décelable au test sanguin.

 

Faux sentiment de sécurité

Il en résulte souvent un malentendu chez le nouvel arrivant et même chez certains professionnels de la santé qui croient qu’un examen médical d’immigration normal garantit un état de santé global satisfaisant. Ce faux sentiment de sécurité peut avoir de fâcheuses conséquences et amener l’immigrant présentant des symptômes anormaux à consulter un médecin tardivement. Soit  parce qu’il croit que cela peut nuire à son dossier, même si la maladie sous-jacente dont il souffre n’est pas visée par l’examen médical d’immigration, soit parce qu’il pense que l’examen médical d’immigration aurait  dû dépister toute anomalie méritant d’être rapportée. Imaginez l’impact que cela peut avoir dans le cas d’un nouvel arrivant qui présente des symptômes d’infection transmise sexuellement et qui a des comportements à risque !

 

Qui prend patrie prend maladies ?

Ce décalage entre les politiques sanitaires et les données actuelles en matière d’immigration soulèvent plusieurs craintes, la première étant l’émergence de maladies  « tropicales », préoccupation alarmante à l’aube des pandémies de grippe aviaire et de SRAS

 

Les statistiques concernant les nouveaux arrivants sont déficientes, entre autres parce qu’elles ne tiennent pas compte de leur hétérogénéité : un homme d’affaires suédois ne présente évidemment pas le même profil bio-psycho-médical qu’une réfugiée rwandaise ! Tout de même, on sait grossièrement que les immigrants souffrent rarement de maladies tropicales potentiellement menaçantes pour la santé publique et il n’est pas justifié de les dépister chez tout arrivant.

 

En ce qui a trait aux maladies chroniques, telles le diabète ou l’hypertension, on pense souvent à tort que ce sont des affections qui touchent seulement les Occidentaux. Or, dans le monde, les taux de mortalité des maladies cardiovasculaires ou des cancers du col de l’utérus, pour ne nommer que ces maladies, sont comparables, voire supérieurs, aux valeurs canadiennes. Ce sont des maladies qui coûtent très cher au système mais qui ne font pas l’objet de l’examen médical d’immigration.

 

Une occasion rêvée

Au Canada, il n’existe à ce jour aucune recommandation officielle quant au dépistage systématique chez le nouvel arrivant. Mais sur la base d’expériences cliniques, il est médicalement suggéré de dépister des problèmes nutritionnels, visuels, auditifs, dentaires et psychiatriques, ainsi que de procéder à l’évaluation de l’état vaccinal et des méthodes de contraception.  Au niveau des bilans, des investigations simples et peu coûteuses, telles la recherche de parasites dans les selles et une formule sanguine, sont souvent très révélatrices. Étant donné qu’une bonne part de ces individus doivent passer ces bilans éventuellement au cours de leur vie, il y a là une  belle occasion de mettre plus rapidement les nouveaux arrivants sur le chemin de la santé, afin qu’ils jouissent davantage de leur nouvelle vie au Canada.

 

Considérant son origine historique et sa dimension légale, on comprend que l’examen médical d’immigration soit englué dans une certaine lourdeur bureaucratique. Il serait irréaliste de vouloir en faire un outil de dépistage universel parfait. Reste qu’avec ses protocoles caduques, on peut tout de même douter de son efficacité à remplir son objectif fondamental  :  protéger la santé de la population canadienne.

 

Par ailleurs, Il existe très peu de données sur la population des immigrants/réfugiés/demandeurs d’asile à grande échelle. L’examen médical d’immigration est l’opportunité rêvée d’en apprendre plus sur une population méconnue et grandissante afin de mieux la servir. Cela permettrait justement de modifier adéquatement notre façon d’accueillir et de traiter nos immigrants, médicalement parlant. Ce que nous devrons inévitablement faire, dans un avenir très prochain.

 

  « Sans vouloir vous inquiéter outre mesure, cher Monsieur Singh, je dois vous dire que le fait que votre examen d’immigration soit normal ne signifie pas grand chose »… Je vois sa bru qui trépigne, victorieuse et j’ajoute :   « Il semble que vous ne souffrez pas des maladies visées par les examens de l’immigration. Par contre, à votre âge, certaines précautions s’imposent et nous allons procéder à un examen  complet. Au fait, bienvenue au Canada, Monsieur Singh…» 

 

SOURCES

 

Gushulak Brian D., Williams Linda S., National Immigration Health Policy: Existing Policy, Changing Needs, and Future Directions, Canadian journal of Public Health, May/Jun 2004; 95,3; p.127

Gushulak Brian D, MacPherson Douglas W., The basic principles of migration health: Population mobility and gaps in disease prevalence, Emerging Themes in Epidemiology 2006, May 2006

La médecine en contexte multiculturel, Le Médecin du Québec, février et mars 2007, vol 42, no 2

http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/statistiques/faits2006/apercu/01.asp

Manuel du médecin désigné, Citoyenneté et immigration Canada

Hyman I. Immigration et Santé. Recherche sur le politiques en matière de santé. Santé Canada. Ottawa: 2001

 

 

CLIMATS

Qui accueillera les réfugiés climatiques ?

2008

 

Par Dominique Forget, ingénieure et journaliste scientifique

Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait adpaté de www.servicevie.com/Transcontinental

Dernière révision : 21 janvier 2008

 

Entre 100 000 et 100 millions de personnes pourraient s’inscrire annuellement au rang des réfugiés climatiques entre 2020 et 2100, à cause de la montée du niveau des océans ou des événements climatiques extrêmes causés par les changements climatiques. Les prévisions varient, mais dans tous les scénarios, on prévoit que les côtes densément peuplées de certains pays africains et asiatiques seront durement touchées.

 

Ces régions réunissent 80 % de la population à risque. Les îles des Caraïbes, du Pacifique et de l’océan Indien qui se trouvent à moins d’un mètre sous le niveau de la mer sont encore plus vulnérables.

 

Qui accueillera tous ces réfugiés?

 

Les États-Unis

La question fait débat. Dans une lettre publiée par la revue Nature en 2006, Sujatha Byravan du Council for Responsible Genetics, aux États-Unis, et Sudhir Chella Rajan, du Tellus Institute de Boston, proposent le principe du pollueur-payeur. Selon les deux chercheurs, les pays responsables des changements climatiques devraient recevoir les réfugiés selon une proportion équivalente à leur niveau de pollution. Les États-Unis, qui ont émis dans l’atmosphère 30 % des gaz à effet de serre au cours du dernier siècle, devraient accueillir 30 % des exilés.

 

Cette proposition faire frémir certains groupes environnementaux, dont une aile radicale du Sierra Club qui plaide en faveur d’une réduction de l’immigration aux États-Unis. Pourquoi cette idée qui ressemble à de la xénophobie d’extrême-droite ? Parce qu’un Américain moyen rejette dans l’atmosphère cinq fois plus de gaz à effet de serre qu’un Mexicain et 20 fois plus qu’un Indien. Suivant ces statistiques, il faudrait éviter à tout prix une augmentation de la population américaine.

 

Les États les plus proches

Tout ce débat est peut-être inutile. Après tout, les réfugiés choisiront bien eux-mêms leur destination. Les chiffres montrent que les personnes exilées en temps de guerre cherchent généralement refuge dans les États les plus proches de leur propre pays, où ils ont le plus de chance de retrouver des compatriotes. Entre 1992 et 2001, sur 12 millions de demandeurs d’asile provenant de pays en développement, 72 % ont demandé à se réfugier dans d’autres pays en développement.

 

Les portes de l’Inde

Si la moitié de la population du Bangladesh est forcée d’émigrer, comme on le craint, devant la menace d’immersion, c’est probablement aux portes de l’Inde qu’elle ira frapper. Par ailleurs, le Tuvalu, un archipel polynésien situé au centre de l’océan Pacifique, a déjà obtenu des droits d’immigration pour ses 9 000 habitants auprès de la Nouvelle-Zélande. Plusieurs insulaires âgés refusent toutefois de partir. Le premier ministre, Toaripi Lauti, s’est engagé à périr avec son pays, comme le capitaine du Titanic.

 

SOURCE

Gosline A. ,New Scientist via Courrier International 814 - 8 Juin 2006

 

 

ANTHROPOLOGIE MEDICALE

Lachés au Sud, couvés au Nord

2008

 

Par Jean-Francois chicoine, pédiatre

Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Adapté de Locus Movere/Le médecin du Québec & www.servicevie.com/Transcontinental

Dernière révision : 22 novembre 2008

 

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Photo LMEA Envol au Bresil, Bresil 1998

 

Au Brésil, il y aurait au bas mot quarante millions d'enfants errants, inscrits à l'école de la vie plutôt qu'à l'école tout court. On les appelle les « Menores Carentes », « les mineurs laissés pour compte ». Plus au nord, dans nos banlieues canadiennes, de plus en plus d’enfants sont élevés et surprotégés dans des bungalows-forteresses, à l’abri de tous les dangers. Contraste…

 

La façon de concevoir la famille varie d'une société à l'autre, de même que l'image qu'on se fait de l'enfant, de la filiation et de la responsabilité parentale. Entre les sociétés traditionnelles et les sociétés industrielles, la séparation parent-enfant n'est pas perçue de la même manière. Qu'elles soient culturelles ou historiques, ces différences résident aussi dans les réalités socio-économique, politique et sanitaire du pays de l'enfant, et dans son environnement immédiat.

 

Trop de corde?

Description : Click here to find out more!Comme dans l'Occident d'autrefois, où le statut d'enfant, à toutes fins pratiques, n'existait pas, l'enfant qui vit aujourd'hui dans les sociétés traditionnelles ou dans la misère persistante des bidonvilles est considéré comme un pré-adulte.

 

Très tôt dans sa vie, l'enfant du «sud» prend le large et ses jambes à son cou pour faire trop tôt un homme de lui ou se faire trop vite la femme d'un autre. Très tôt, il est investi d'une responsabilité, autant envers son groupe social qu'envers sa famille, dont il échappe du coup à l'autorité absolue. Un coup de pied au derrière et l'espace lui appartient. C'est ainsi que dès l'âge de 7 ou 8 ans, l'enfant déguerpit avec la bénédiction de papa et de maman. Il apprend à circuler, d'oncle en tante, de voisin en voisine, dormant tantôt chez eux, tantôt dans des abris improvisés.

 

Négligence ou stratégie familiale hors du commun?

Négligence: «Ils sont des millions à survivre dans des conditions désastreuses», nous rappelle la juriste française De Béchillon. «La majorité d'entre eux n'a plus de foyer familial, quelques-uns seulement gardent des liens épisodiques avec leurs parents (...) En particulier, ces enfants ne peuvent pas être adoptés, faute d'avoir été officiellement abandonnés par leurs parents.»

 

Stratégie familiale: sans perdre de vue la misère noire qui les afflige, eux et leurs parents, leur séjour dans la rue à vendre du café ou à ramasser des guenilles, représente sans doute une phase intermittente de leur développement. Pour Claudia Fonseca, professeure d'anthropologie sociale à Porto Alegre, «les croyances et les pratiques sociales sont les conséquences directes du contexte dans lequel on vit». De fait, à São Paulo comme à Rio, celui qui survit n'est pas manchot. Circuler, c’est durer.

 

Manque de lousse ?

Par ailleurs, l'espace concédé aux enfants du «nord» s'est terriblement rétréci. En Amérique du Nord comme en Europe occidentale, entre le double enfermement du split level et de l'autobus scolaire, on a fini par contenir les faits et gestes des petits dans un terrain de jeu et de vie, sécurité oblige, relativement clos et du reste, balisé, jalonné de casques, de clôtures et d'interdits.

Description : Click here to find out more!

Sécurité ou contrainte?

Sécurité: Casque à vélo, casque en ski, ceinture de sécurité en auto, dodo sur le dos, soie dentaire, interdiction de coton-tige, interdiction de fessée, parc à jouer, lit à barreaux, interdiction de frites.

 

Contrainte: «Une protection illusoire», commentait la célèbre Françoise Dolto, «car seule l'expérience immunise vraiment l'enfant contre les dangers qui peuvent menacer son intégrité physique». Au-delà de la peur de l'infection, de l'agression, de l'allergie, du péril jaune, du gluten et du beurre d'arachides, il faut que l'enfant se sente vivant.

 

Trop de corde ou manque de lousse ?

Tandis que la misère des pauvres n'a plus de frontières, celle des riches s'ankylose.

 

SOURCES

 

Fonseca, C La violence et la rumeur: le code d'honneur dans un bidonville brésilien. Les Temps Modernes. Juin 1984.

Chicoine, J.-F. L’enfant, la locomotion et le monde, Montréal, Le Médecin du Québec, 2001.

Dolto F. La cause des enfants. Robert Laffont, 1985.

De Béchillon, M., Choulot, J.J., Le guide de l’adoption, Paris, Éditions Odile Jacob Éditions, 2001.

 

 

MALADIES TROPICALES

La lèpre : la maladie des saints 

2007

 

Par Luc Chicoine,  Professeur titulaire de pédiatrie à la retraite

Université de Montréal, Québec, Canada

Avec Le monde est ailleurs

Extrait adapté de www.servicevie.com/Transcontinental

Dernière révision : 8 octobre 2007

 

La lèpre fait décidément partie de l’histoire, mais pas encore du folklore : elle représente encore un problème de santé publique dans une quinzaine de pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Maladie terrifiante mais non incurable : 12 millions de personnes en ont été guéries depuis 20 ans. On guérit beaucoup plus facilement de la lèpre que de la peur qu’elle inspire !

 

 

Photo LMEA À la léproserie, Vietnam 1997

 

Ainsi, en Inde, qui regroupe 70 % des lépreux du monde, quand un homme a la lèpre, c’est toute sa famille qui est expulsée du village avec lui. Les lépreux n’ont pas tous la lèpre, mais ils en ont tous le stigmate.  

 

La lèpre est l’un de ces souvenirs colorés que nous avons du Moyen Âge, et que l’on associe souvent à la rencontre amicale de l’Orient et de l’Occident, quand les chrétiens partaient « libérer » la Terre Sainte et qu’ils oubliaient de se laver les mains en revenant.  Les lépreux agitant leur crécelle pour s’annoncer, sont les exclus par excellence, et ils ont inspiré les plus grands terreurs, les plus gros abus comme la plus généreuse compassion. 

 

La muse des Saints

Les champions de cette compassion sont de grandes vedettes universelles : ainsi le père Damien, héros national en Belgique flamande, qui est mort au milieu des lépreux qu’il soignait à Hawaï, au 19ème siècle ; ainsi Raoul Follereau, qui avait demandé aux présidents américain et soviétique, en pleine guerre froide, de lui donner « deux bombardiers » pour éradiquer la lèpre dans le monde : leur cout aurait suffi pour guérir des millions de lépreux ; ainsi mère Térésa, à Calcutta, qui leur a consacré sa vie, malgré ses doutes sur l’existence de Dieu.  La sainte a fait des saints : comme frère Christdas, son disciple, qui a rassemblé dans le nord du Bihar des milliers de lépreux exclus et rejetés dans une colonie où la qualité de vie surpasse celle de toutes les communautés avoisinantes. Douce revanche pour les lépreux, même si ce n’est pas chrétien de s’en réjouir

 

Une histoire des lépreux

Après quinze années de recherche, le professeur Françoise Bériac, spécialiste du Moyen Âge à l’université de Bordeaux, publiait en 1988 un excellent livre d’histoire sur ce fléau.    Elle y relate que les plus anciennes mentions connues de la lèpre remontent 600 ans avant Jésus-Christ. 

 

Au Moyen Âge, raconte Mme Bériac, la maladie était aggravée par le manque d’hygiène corporelle et par la malnutrition. En l’absence de traitement efficace,  les interventions médicales étaient désastreuses et aggravaient la maladie : saignées, laxatifs, pommades et diètes au choix pour traiter la soi-disant « mélancolie », qu’on croyait alors responsable de la lèpre, comme de la syphilis.

 

Le jugement moral

Une certaine amélioration fut apportée par la création des léproseries.  Certaines étaient de vraies prisons où on envoyait mourir les malades.  D’autres, ciblées par les nobles et les communautés religieuses, ont eu de meilleurs résultats en isolant les malades et en améliorant leur nutrition. 

 

Les léproseries étaient très petites (surtout 5 à 10 malades) et elles se développèrent en grand nombre.  En dehors des maladreries, les lépreux étaient ostracisés et ils ne pouvaient pas entrer en contact avec les autres.  Pour financer les léproseries, on confisquait l’argent des lépreux ainsi que leurs héritages.  Le jugement moral persistait : « Les bons en guérissent et les mauvais l’attrapent ».  La lèpre, c’était « le salaire du péché » (et son avoir, celui de l’abbé !)

 

Premier pas vers la guérison

Depuis 1873, la lèpre est aussi appelée « Maladie de Hansen »,  du nom du  savant norvégien qui en a découvert le bacille responsable, le « mycobacterium leprae », un petit cousin d’un autre joyeux boute-en-train, le « mycobacterium tuberculosis », le bacille de la tuberculose découvert par son contemporain, l’Allemand Robert Koch.

 

La lèpre avait déjà commencé à régresser avant l’apparition d’un traitement fiable.  La nutrition et l’hygiène y sont pour quelque chose.  On croit aussi généralement que la propagation de la tuberculose a rendu la population moins sensible à la lèpre, car ce sont deux microbes assez semblables et l’immunité contre l’un protège contre l’autre.  Cela me rappelle cette blague du médecin qui soignait les migraines en tapant sur les doigts du malade avec un marteau : « Notre approche consiste à créer une diversion »…

 

La lèpre aujourd’hui

En 2005, il y avait environ deux millions de lépreux dans le monde, avec 350,000 nouveaux cas recensés cette même année ; mais la maladie régresse plus vite qu’elle ne progresse, grâce à des médicaments efficaces.  Ainsi la lèpre a été éradiquée de la grande majorité pays où elle sévissait. 

 

Depuis 1981, l’OMS préconise contre la lèpre l’usage de 3 médicaments (la Dapsone est le principal) par la bouche durant une période de 6 à 24 mois. Le traitement est très efficace pour une grande majorité de malades, mais des atteintes neurologiques persistantes rendent la peau insensible, ce qui favorise les infections et les ulcérations irréversibles chez plusieurs victimes ; même guéri, l’ancien lépreux se reconnaît facilement : souvent, il lui manque les doigts, les orteils et le nez.  Ce sont ces ulcérations qui donnent à la maladie son aspect le plus spectaculaire, et qui font tant craindre les lépreux, porteurs d’une maladie assez peu contagieuse au demeurant. Il y a encore beaucoup à faire, car il y a encore beaucoup de malades. Mais l’œuvre de père Damien et de Mère Teresa est en bonne voie de réussir.  Ça irait plus vite avec deux bombardiers, certes, mais les gouvernements préfèrent garder leurs armes…

 

Le havre de paix

Avant de conclure sur ce sujet si bien raconté par Mme Bériac, permettez-moi d’évoquer un souvenir  personnel de la lèpre. En 1976, avec ma famille, j’ai visité une léproserie tenue par des religieuses italiennes au nord de l’Ouganda. Cet endroit était un havre de paix, quand on le compare aux perturbations qui sévissaient dans le pays, sous la dictature du tristement célèbre Idi Amin Dada. Les malades étaient propres et bien nourris ; la plupart apprenaient un métier et l’agriculture pour subvenir à leurs besoins. En effet, dans les années 70, sur les hauts plateaux de l’Afrique, les lépreux sur qui veillaient ces braves religieuses connaissaient, malgré la maladie, de bien meilleures conditions de vie que la grande majorité de leurs compatriotes ougandais. 

 

Oui, la lèpre, incarnation hideuse de toutes les peurs de l’humanité, a suscité de grandes et belles œuvres. 

 

SOURCES

 

Bériac, Françoise Histoire des Lépreux au moyen âge : une société d’exclus Éditions Imago, Paris 1988, 278 p. ISBN 2-902702-41-8

Organisation mondiale de la Santé http://www.who.int/fr/index.html

 

PÉDIATRIE INTERCULTURELLE

Naître, grandir et vivre dans la francophonie

2004

 

Par Grégoire Viau, scénariste

Le monde est ailleurs 2004

 

Extrait du projet de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie sur www.meanomadis.com

Publication électronique, Le monde est ailleurs, Qc, Canada 2004


En 2004, dans le cadre d'un projet multiforme avec l'Agence Intergouvernementale de la Francophonie, Le monde est ailleurs entreprend l'écriture de centaines de textes autour de la culture pédiatrique dans les pays qui parlent un peu, beaucoup le francais.

 

C'est dans ce contexte que Grégoire Viau, fidèle membre de l'équipe, commet ces quelques variations sur "le naitre, le vivre et le grandir" et, ce, pays par pays, région par région. Pour le meilleur et pour le pire. Désolé. Grégoire Viau le dit lui-meme: "J’aurais voulu être né en Albanie pour être fier d’être Français".

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE EN ALBANIE

Située au centre des Balkans, entre Monténégro, Serbie, Macédoine et Grèce; a été foulée par les Grecs, Romains, Byzantins, Russes et Turcs, ces derniers laissant l’Islam en héritage à 70 % de ses 3 millions d’habitants.

 

Petit pays gros comme la Suisse, montagneux et sans doute beau comme la Suisse. Mais l’Albanie est à l’Europe ce qu’Haïti est à l’Amérique.

 

Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo.

L’Albanie est indépendante en 1912 et devient monarchie avec le roi Zog -- à ne pas confondre avec le méchant dictateur qui avait conquis la planète Terre pendant que Superman s’essayait à la condition humaine. Mussolini l’envahit en 1939 et Victor Emmanuel III en est proclamé roi. Enver Hoxha s’empare du pays de 1945 à sa mort en1985, rompant successivement avec tous ses alliés communistes trop mous : la Yougoslavie de Tito, l’URSS de Khrouchtchev et la Chine de Deng.  À l’avènement du pluripartisme en 1991, les Albanais sortent d’un isolement maladif, le pouvoir est rongé par la corruption, le pays est en déconfiture et livré à une mafia sordide, championne d’un trafic humain qui alimente le marché européen de la prostitution. Malgré tous ses problèmes, l’Albanie est restée relativement stable face au démantèlement de la Yougoslavie voisine et attend son hypothétique admission dans l’Union européenne. Souvenir personnel d’Albanie : l’interminable file d’interprètes qui se succèdent pour interroger un Albanais dans Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo.  Pays vraiment exotique situé à jet de pierre des deux paradis les plus touristiques de l’Univers.    Patrie du grand écrivain Ismail Kadaré.

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre en Albanie

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec.  Mais aussi parce que l’Albanie est aux prises avec une misère qui engendre tous les outrages. Parce que les Albanais font peur aux Italiens à cause de tous les stéréotypes qui courent sur la mafia albanaise. Parce que je me sentirais isolé si je ne parlais que le guègue ou le tosque, et que j’aurais l’impression d’être floué si je ne pouvais pas voir un film de Woody Allen en anglais, ou un film de Francis Weber en français. Je regrette souvent de ne pas être né en Italie, qui est pourtant voisine de l’Albanie. Parce que l’Albanie compte moins d’une ligne de téléphone pour 50 habitants et qu’à 140 leks pour une piasse, la carte de Bell Mobilité doit être prohibitive, sans compter le coût d’un appel direct à l’île Perrot depuis Tirana ou Sarandé. Parce que les Balkans sont depuis toujours un foyer de violence et que j’aurais bien de la difficulté à expliquer à un touriste français qui de toute façon en saurait plus que moi sur le sujet, comment les Balkans en sont arrivés à une telle balkanisation?Parce que je ne saurais s’il est souhaitable ou non que le Kosovo réintègre l’Albanie, et parce que les 1000 kilomètres de côtes ne sont, dit-on, par toujours de la toute première propreté. Parfois je me dis que ce que j’aimerais encore moins que naître en Albanie, c’est naître femme en Albanie…

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre en Albanie

J’aimerais être Albanais pour revendiquer mon appartenance à un pays chargé d’histoire et empreint de mystère. J’aimerais être Albanais parce qu’en 2002, malgré ses beautés que l’on dit stupéfiantes, l’Albanie n’a reçu que 2000 visiteurs occidentaux, alors que la Grèce voisine et l’Italie d’en face ont littéralement vendu leur âme au démon touristique. Parce que tout est à inventer dans ce pays qui a chassé tous ses envahisseurs après en avoir gardé le meilleur;  où le pouvoir a commis tous les excès sans jamais tenir ses promesses, et où une culture démocratique peut enfin s’installer sur la base des expériences les plus douloureuses, donc connues et évitables. J’aimerais être Albanais pour tomber par hasard sur un compatriote dans une rue de Montréal ou de Moscou, parler avec lui une langue connue de nous seuls, avoir la nostalgie d’un pays dont personne ou à peu près, en dehors de la région, ne connaît rien. J’aimerais être Albanais quand l’Albanie pourra enfin satisfaire aux critères d’adhésion à l’Union européenne, comme j’aurais voulu être Allemand quand le rideau de fer s’est écroulé. J’aimerais être Albanais parce que je raffole des poivrons, des côtes sauvages et inexplorées, de la montagne et des oiseaux rares.  J’aimerais être Albanais parce que l’Albanie a résisté à la violence interethnique qui a embrasé toute la région, parce qu’on dit que l’Islam y est doux et qu’il appelle au dialogue.

 

J’aimerais être Albanais pour être fier d’être Albanais…

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE AU CANADA

Dans un magnifique pays d’Amérique latine, j’ai travaillé il y a quelques années avec un jeune homme qui faisait la moitié de mon âge, qui parlait six langues de plus que moi, qui jouait au foot comme Pélé et qui était haut fonctionnaire de l’UNESCO – un sale petit merdeux, quoi. 

 

Pour le taquiner, je lui dis : « Te rends-tu compte que ton pays (la Belgique) est 323 fois plus petit que le mien? » Et il me répond : « Te rends-tu compte que ton pays (le Canada) est 323 fois moins important stratégiquement que le mien? »  Normalement on aurait dû devenir amis sur-le-champ, mais en plus il jouait très bien de la guitare et faisait rire toutes les filles. 

 

Quelques repères

Le Canada est situé au nord du Minnesota et à l’ouest de Saint-Pierre-et-Miquelon. On dit que le Velcro y a été inventé, témoin de l’incroyable créativité de ses habitants.  On a beaucoup plaisanté sur le fait qu’il était le « plus meilleur pays au monde ». C’est le pays préféré du cinéaste américain Michael Moore et sa minorité francophone a l’accent préféré des Français.  Les Canadiens sont les plus grands consommateurs d’énergie par habitant de la planète, mais à moins 38 degrés Celsius, on ne peut pas se laver avec du Windex.                 

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au Canada

Pour faire comme 99,5 % du reste de l’humanité, qui habite à l’extérieur du Canada et qui jouit du soleil de la Toscane, de l’accent de Bahia, de la blondeur des femmes d’Irkoutsk, du riz gras des Wolofs, de l’argent des Suisses et des odeurs du temple de Gudeshwari.  Si ce n’était de son terrible climat, 99, 5% des humains aimeraient pourtant mieux vivre au Canada. Je ne voudrais pas vivre au Canada si sa réputation d’hospitalité s’avérait fausse, si son équilibre social était troublé, si les Premières Nations restaient confinées à leurs réserves, si son couvert végétal devait disparaître, si les différentes communautés qui le composent n’arrivaient pas à s’entendre. Si la paix n’était pas possible au Canada, où le serait-elle?Je ne voudrais pas vivre au Canada si ce pays n’était qu’une colonie américaine, et s’il ne revendiquait pas des valeurs différentes de celles de son voisin.   Je ne voudrais pas vivre au Canada si ce pays était gouverné par une bureaucratie sans âme, n’obtenant de surcroît que des résultats médiocres.Je ne voudrais pas vivre au Canada si la notion de solidarité ne s’appliquait qu’à l’intérieur d’un même groupe de pression, si le lobby des armes à feu prenait trop de poids électoral, si le pouvoir des lois tombait aux mains des bigots.   Si la société canadienne n’avait pas les qualités qu’on lui reconnaît, quel serait l’intérêt de venir se les geler dans cette station météorologique perdue? 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre au Canada

Parce que le Canada est le pays le plus bon enfant du monde, tous groupes culturels confondus.  We are, indeed, the good neighbors. Parce qu’on peut s’y étirer les bras sans blesser personne, sauf si on prend le métro à Montréal.  Parce que le Canada se repère facilement sur une mappemonde et que sa forme, signalée notamment par la ronde Baie d’Hudson, l’espiègle péninsule ontarienne, l’ouverture en crescendo du golfe du Saint Laurent, les côtes aiguës du Québec, le vaisseau terre-neuvien et le crochet de la Nouvelle-Écosse, est quand même pas mal plus esthétique que celle, par exemple, de la Russie.Je voudrais vivre au Canada à cause de ses Rocheuses, bien sûr. Je voudrais naître, grandir et vivre au Canada si ma propre identité pouvait susciter l’intérêt de l’autre, et si je décidais que la différence de l’autre m’était un enrichissement personnel.  J’aurais aimé être Canadien de Montréal dans les années 70 (mais avec le salaire des années 2000 – on ne peut pas avoir à la fois la gloire et l’argent du beurre). J’aime bien mon passeport canadien et je suis heureux d’appartenir à un pays dont tout le mal que peuvent en dire les étrangers est que Céline Dion travaille beaucoup trop.  

 

Je suis fier d’être Canadien parce que je suis fier d’être Québécois. 

 

 

 

Photo Claude Duchaine Maisons Canada 2005

 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE AU VATICAN

Les Français avaient déjà, au nom de leur Révolution, proclamé la République de Rome, et Pie VI a bien failli devenir le dernier pape. On l’a déporté en France où il est mort.  Son successeur prendra courageusement son nom et aura lui aussi maille à partir avec ces maudits Français.

 

Il avait pourtant assisté au couronnement de Napoléon.  Mais voilà qu’il refuse d’annuler le mariage de Jérôme Bonaparte et les Français le mettent en prison. On comprend maintenant pourquoi tout ce que fait la France agace Pie VII.  Pendant mille ans, les papes ont régné sur la plus grande partie de l’Italie, qui n’a été unifiée qu’au dix-neuvième siècle. La fameuse “ question romaine ” ne sera réglée qu’en 1929, quand Mussolini signera les accords de Latran avec Pie XI. Moyennant une jolie compensation financière et la promesse que le catholicisme serait la seule religion d’État, le pouvoir temporel du Saint-Siège serait confiné au territoire du Vatican.

 

Quelques repères

Le Vatican est l’une des sept collines de Rome.  Avec une superficie de 44 hectares et mille habitants, c’est le plus petit État souverain du monde. Ainsi quand un Vaticanais rencontre un Monégasque, il lui dit : c’est tellement grand chez vous! En fait, comme disait l’écrivain communiste Roger Vaillant, le Vatican est un gouvernement sans citoyen. C’est pour cela qu’il se classe au troisième rang de la dénatalité, derrière le Québec et l’Italie. Le gouvernement vaticanais ne se mêle pas seulement de gérer son armée de zouaves, son bureau de poste et sa boutique de souvenirs. Le Saint-Siège a une opinion sur tout et une influence sur plusieurs; on dit que la fatwa papale condamnant l’usage du préservatif a contribué à la propagation du sida. Sommes-nous aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle guerre de religions ?  D'un côté, le Vatican condamne vigoureusement les unions de même sexe et l’adoption d’enfants par des parents homosexuels.  De l’autre, les Raéliens sont pour. La Raélie est-elle membre de l’ACCT ? Où se trouve-t-elle? Le Vatican, au moins, on sait où il est. Et c’est vachement joli. 

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au VATICAN

Naître, à moins d’un accident, semble improbable au Vatican. Grandir au Vatican? Il me faudrait être enfant de chœur et c’est, paraît-il, un métier dangereux. Vivre au Vatican? Il me faudrait être curé, policier ou femme de ménage, et je n’ai guère d’aptitude pour ces conditions.  Après quelques semaines à l’Institut linguistique provincial, à perfectionner mon anglais, mon italien, mon espagnol, mon russe, mon latin, mon hébreu et mon ancien grec, je pourrais toujours devenir pape. Je l’ai d’ailleurs envisagé, quand j’avais onze ans, mais c’est l’époque où j’ai commencé à distribuer le Journal de Montréal et il y avait, à la page 7, des Tentations qui m’ont à jamais précipité dans les flammes de la laïcité.  Aujourd’hui, grâce à Dieu, je suis athée.

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre au VATICAN

Techniquement je ne pourrais pas naître ou grandir au Vatican, mais sans doute y grossir parce qu’on y mange très bien. Come on !  Le Vatican est à Rome et c’est la plus belle ville du monde. Même entouré de curés, j’aimerais vivre au Vatican. Que du luxe, aucune responsabilité! Pas d’enfants à élever! Par de femme qui t’attend avec le rouleau à pâte! Une vie de lecture, de promenade et de contemplation. La chapelle Sixtine à moi tout seul après le départ des touristes… Jouer au tennis quand je veux. Placoter entre gars, comme dans le bon vieux temps des tavernes. Le pied, mon père! J’ai beau être allergique à la religion, je conserve une tendresse pour certains membres du clergé. Comme ce jésuite québécois que j’avais rencontré en Inde et qui avait vécu au Vatican. Comme cet oblat de Laval qui avait caché Che Guevarra dans son couvent de La Paz. Comme cette Missionnaire de la Charité qui soignait les Indiens de Bolivie. 

 

J’aimerais vivre au Vatican parce que je suis bavard comme une Pie. Et drôle comme Pie C. Mais on est loin du compte.  

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE AU BÉNIN

Situé sur le golfe de Guinée, il a à peu près la même taille que le Togo voisin (pourvu que vous connaissiez la taille du Togo!) Outre le Togo, qui fait à peu près la même taille que la Pennsylvanie, le pays est entouré par le Burkina Faso, le Niger et le Nigéria. Six millions d’habitants. 

 

Dans les 15 premières années d’indépendance du pays, la seule chose qui y était vraiment stable, c’était la fréquence des coups d’État. Mathieu Kérékou a pris le pouvoir en 1972 à la faveur… d’un coup d’État, il a proclamé la Révolution socialiste, et a dû quitter le pouvoir en 1991 à l’avènement du multipartisme, quand Nicéphore Soglo a été élu président de la République. Depuis 1996 le Président élu du Bénin s’appelle Mathieu Kérékou,  qui a été sagement réélu en 2001.

 

Berceau de la religion vaudou

Le Bénin s’appelait autrefois le Dahomey et fut le centre de la traite des esclaves vers le Nouveau Monde.  C’est aussi le berceau de la religion vaudou fleurissante en Haïti et dans les Antilles. D'ailleurs, un descendant direct de Toussaint Louverture, le héros de l’indépendance haïtienne, a été roi d’Allada, dans le sud du pays.  Le pays a deux capitales, Porto Novo, l’officielle, et Cotonou, l’effective.  Ancienne colonie française, le Bénin a aussi connu des influences danoises, portugaises et anglaises. Les Européens ne voulaient surtout pas renoncer à leur part du gâteau dans la traite des esclaves, noble industrie s’il en est. 

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au Bénin

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec. Mais aussi parce que le Bénin, comme tant d’autres pays de l’Afrique côtière et sahélienne, a un climat impossible : humide à vous faire tomber les cheveux dans le sud, sec à vous rendre sourd au nord. Parce que je suis toujours un peu mal à l’aise à l’idée qu’une population évacue encore à 90 % ses déchets corporels dans la nature, même en ville. Parce que le sida est galopant, et que les services de santé n’ont pas de réponse efficace à opposer aux épidémies habituelles.  Parce que l’espérance de vie est de 54 ans et que j’aurais peur de m’attacher à des gens qui approchent cet âge. Parce que plus de quarante partis politiques se disputent le pouvoir, ce qui ne garantit pas que ce soit toujours le chef le plus vaillant qui obtienne la majorité simple… Parce que la vie en Afrique est généralement difficile et que trop d’Africains, comme les Parisiens,  rêvent de se barrer au Canada… Parce que ce n’est pas drôle de voir des fonctionnaires étrangers de l’aide internationale débarquer au Sheraton ou à l’Aledjo quand on n’a pas de quoi manger tous les jours… 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre au Bénin

Pour pouvoir être belle et talentueuse comme Angélique Kidjo, et comme elle être invitée à la fête donnée à Jimmy Carter quand il a reçu son prix Nobel de la paix.  Pour être beau et musclé comme Romain, un coiffeur béninois que j’avais connu à Ouagadougou, et avoir comme lui le ventre en forme de Caramilk sans jamais faire le moindre exercice… Pour pouvoir jouir de la vie culturelle de Cotonou ou de Porto Novo, que tous mes amis coopérants ont trouvé terriblement excitante.  Pour pouvoir rigoler avec les Béninois de la ritournelle que les anciens colons français leur faisaient répéter par cœur : « Nos ancêtres les Gaulois ». Pour aller flâner avec des amis dans la cité lacustre de Ganvié, la plus grande d’Afrique.  Pour admirer les animaux sauvages qui peuplent encore cette partie du monde.  Pour revendiquer mes héritages nok et ife, et retrouver une pièce de bronze au musée Peabody en disant: c’est à moi que vous avez volé ça… Pour jouir de la douceur d’un pays qui est à construire, après les fléaux successifs que constituent l’esclavage, la colonisation et la dictature

 

J’aimerais être Béninois pour être fier d’être Béninois…

 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE AU NOUVEAU-BRUNSWICK

Contrairement à une croyance populaire tenace, le Nouveau-Brunswick ne tient pas son nom du duché de Brauschweig-Wolfenbüttel, en Westphalie, mais bien de celui de la branche, cousine, des Brunswick-Lunebourg, à laquelle appartenait Georges III, premier roi Hanovre d’Angleterre qui fut authentiquement anglais, mais qui sombra dans la folie en 1810. 

 

C’était 55 ans après le début « du grand dérangement », quand les Anglais, futurs vainqueurs de la France et conquérants définitifs de la Nouvelle-France, décidèrent de déporter 10 000 Acadiens aux quatre coins du monde pour cause de refus d’allégeance, ce que le poète américain Longfellow a raconté avec beaucoup d’émotion dans son œuvre « Évangéline ».

 

Le nom d’Acadie

Le nom d’Acadie découle bien du pays mythique d’Arcadie, réputé pour sa douceur et sa beauté et que l’explorateur Verrazzano avait l’impression de retrouver en longeant les côtes de nos Maritimes, dix ans avant que Jacques Cartier ne s’engage pour la première fois dans le golfe du Saint-Laurent. Les trois cent mille Acadiens qui vivent aujourd’hui libres et prospères (et en français) au Nouveau-Brunswick, descendants de cette poignée de loqueteux revenus s’implanter dans le pays contre les pires adversités, sont les plus grands survivants de l’humanité.  L’histoire du Québec est une partie de fléchettes à côté de la leur.   Et si vous vous intéressez à l’un des six cents petits Néo-Brunswickois actuellement en attente d’adoption, et que cet enfant est francophone, prière de l’aimer en Français, par respect pour les malheureux ancêtres poitevins de ses parents inconnus…

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au Nouveau-Brunswick

D’abord, par ce que je suis bien content d’être né au Québec, où je commence à peine, après 40 ans de luttes intérieures, à me réconcilier avec l’idée d’être issu d’une culture bipolaire. L’idée d’être Acadien m’apparaît encore plus difficile à concevoir; je n’ai pas assez de courage et d’esprit communautaire pour m’identifier à cette nation. Quant aux Néo-Brunswickois d’expression anglaise, ils parlent une langue qui m’est inconnue, rendant mon identification encore plus improbable. Je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au Nouveau-Brunswick, parce que les Québécois se trouveraient bien drôles de tenter d’imiter mon accent chaque fois qu’ils me rencontrent pour la première fois, comme le font avec moi les Français, et à la longue ça devient agaçant. Je ne voudrais pas vivre au Nouveau-Brunswick, parce que c’est en Nouvelle-Écosse voisine, sur l’île du Cap-Breton, que sont installés le peintre Jacques Hurtubise et le compositeur américain Philip Glass et il doit y avoir une raison. Je ne voudrais pas vivre au Nouveau-Brunswick parce que ce pays n’est pas assez urbanisé pour moi, et que les Néo-Brunswickois que je connais habitent Montréal, je les aime bien et ils sont tous gays.  Peut-être cette province, que l’on dit pauvre selon les standards ontariens, les rejette-t-elle, et je trouve que la qualité de vie d’une ville est en bonne partie l’expression de son dynamisme gay.  Je ne voudrais pas vivre au Nouveau-Brunswick, que je ne connais pas, pour les mêmes raisons que je ne voudrais pas vivre au Saguenay ou au Lac Saint-Jean, que j’adore. 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre au Nouveau-Brunswick

Parce que  la Baie de Fundy a les plus grandes marées au monde et que le spectacle d’une mer orgueilleuse est l’antidote à toutes les déprimes; parce que Franklin Roosevelt y avait une maison de campagne, que c’est une province loyaliste et que ça doit ressembler aux jolis villages des Cantons de l’Est; parce que leurs souffrances historiques ont inspiré au peuple acadien une culture merveilleusement riche et vibrante, à l’instar des descendants d’esclaves américains ou brésiliens.  Parce que je pourrais dire, quand je vais en Saskatchewan, que la mère d’Anne Murray fréquentait le dépanneur de ma grand-mère; parce que j’aimerais savoir jouer au hockey comme Roch Voisine; parce que j’aurais peut-être pu fréquenter mon compatriote le Dr Réjean Thomas et apporter à nos rencontres une bouteille de vin et non un échantillon d’urine… J’aurais bien aimé naître, grandir et vivre au Nouveau-Brunswick pour jouir d’une nature encore belle, et profiter de cet esprit communautaire qui vous dit vraiment qui vous êtes.  Parce que le Lieutenant-gouverneur de la province, l’honorable Herménégilde Chiasson, artiste multi-talentueux, est un homme élégant.  Parce que le projet d’une société bi-culturelle semble fonctionner là-bas, à moins que je ne me trompe. 

 

J’aurais aimé être Acadien pour être fier d’être Acadien. 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE AU BURKINA-FASO

L’ancienne Haute-Volta a pris le nom de Burkina Faso (“ Pays des hommes intègres ”) pendant le règne du capitaine Thomas Sankara, une des personnalités les plus cinématographiques de l’histoire africaine contemporaine.

 

Il voulait rendre la fierté à son peuple et le libérer de la dépendance à l’aide internationale. On dit que sa voiture officielle était une Renault 5, à laquelle il préférait son vélo, ce qui n’amusait pas du tout son voisin ivoirien Houphouët-Boigny qui, lui, a bâti une basilique de 500 millions de dollars avec son argent de poche. 

 

François Mitterrand lui rend visite

Voici un joli conte sur Sankara : un jour, François Mitterrand lui rend visite.  Ensemble, les deux chefs d’État plantent cérémonieusement un arbre, symbole vivant d’amitié entre les deux peuples. Une fois le sol bien tapé autour du jeune plant, Sankara dit à son hôte : “ Allons maintenant chercher de l’eau au puits pour l’arroser ”… Il aurait alors fait marcher Mitterrand pendant deux kilomètres sous le soleil brûlant du Sahel -- une toute partie du chemin de croix quotidien de l’immense majorité des filles du Burkina Faso    Sankara avait pris le pouvoir en 1983 avec son copain Blaise Compaoré. C’est ce même Compaoré, enfant chéri du FMI, qui aurait assassiné son copain Sankara en 1987, et qui gouvernait encore le Burkina Faso en 2004.

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre au Burkina Faso

D’abord, parce que je suis bien content d’être né et de vivre au Québec, où je suis parrain d’un adorable petit immigrant Burkinabè qui porte le nom chantant de Romaric.  Je ne voudrais pas vivre au Burkina Faso pour la même raison que je ne voudrais pas vivre en Suisse : mes ancêtres étant Phéniciens (ou Vikings, le fax commence à noircir), mon sang de marin m’interdit de vivre dans un pays enclavé. . Mais c’est surtout l’opacité du gouvernement qui me gêne : six ans après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, il semble qu’aucune enquête n’ait encore abouti.  Je ne voudrais pas vivre au Burkina Faso à cause d’un refrain connu : sida, poussière, sécheresse, condition des filles, excision. 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre au Burkina Faso

Chaque année, comme une Francine Grimaldi au party d’ouverture de Vues d’Afrique,  le Burkina Faso est fidèle au rendez-vous : on le retrouve immanquablement aux derniers rangs du classement des pays selon l’indice de développement humain.  Vu froidement par ses chiffres, le Burkina Faso n’est pas humain ! Sida, poussière, sécheresse, condition des filles, excision, etc.… Mais ce que les chiffres ne disent pas, c’est la fébrilité du Fespaco, la biennale du cinéma africain; c’est l’ambiance envoûtante de l’Akwaba d’Ouagadougou, avec sa cuisine exquise et ses merveilleux orchestres jazz-balafon; c’est l’accueil émouvant, aux portes du désert, des Touaregs de Gorom-Gorum,;  c’est la fraîcheur de la Comoé, la province luxuriante; c’est l’intelligence percutante et l’humilité lumineuse de Joséphine Ouedraogo,   ancienne ministre de Sankara; c’est la stature imposante de l’historien Joseph Ki-Zerbo, premier agrégé d’Afrique; c’est le restaurant l’ “ Eau vive ” de Bobo-Dioulasso, où les religieuses vous font réciter, debout, l’Ave Maria avant de vous servir un somptueux repas…Le Burkina Faso fait partie des pays les plus pauvres de la terre, soit.  Mais pour moi, Haïti est beaucoup plus pauvre que le Burkina Faso, car c’est la détresse qui gouverne.  Certaines banlieues proprettes de Montréal sont beaucoup plus pauvres que le Burkina Faso, car c’est l’ennui qui gouverne.  Les Burkinabè sont pauvres, mais qu’est-ce qu’ils savent s’amuser ! … Je voudrais vivre au Burkina Faso pour sa richesse humaine.  

 

Je voudrais être Burkinabè pour être fier d’être un homme intègre…

 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE À SAINTE-LUCIE

Le Canada est grand, il est riche, il est gentil, mais les filles préfèrent généralement sortir avec le chaud Burkina Faso qui a le rythme dans le sang, ou encore avec la Suisse, qui a une plus belle voiture. 

 

Dans la cour d’école francophone internationale, bien peu de pays s’intéressaient au Canada avec ses habits dépareillés qui accentuaient sa taille ingrate.  Comme il se sentait seul au milieu de tous ces petits francophones à la mode! 

 

Un conte de fée francophone

Or un jour le géant du nord remarqua un tout petit pays de 616 kilomètres carrés qui flottait timidement entre la Dominique et la Barbade et auquel personne ne parlait.  Il était joli comme tout avec ses pitons acérés, sa flore luxuriante et ses plages de sable fin. Comment le balourd Canada pourrait-il intéresser la jolie Sainte-Lucie ? La providence lui vint en aide, car le castor et la perruche avaient, après tout, quelque chose en commun : de tous les pays membres de francophonie, eux seuls avaient la reine d’Angleterre comme Chef d’État !

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre à Sainte Lucie

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec; parce que j’ai besoin d’espace pour bouger et de froid pour respirer ; mais aussi parce que la vie dans les Caraïbes, malgré l’attrait des plages et des palmiers, malgré les exquises saveurs de la culture créole,  est souvent une longue litanie de souffrances pour les descendants d’esclaves qui sont toujours des citoyens de seconde zone dans ces pays devenus les leurs ; parce que la météo là-bas est plus meurtrière que la nôtre avec ses cyclones dévastateurs ;  parce que la criminalité est de plus en plus préoccupante et que le moins que l’on puisse dire de la police locale c’est qu’elle n’a pas été formée par Martha Stewart (et c’est elle qui va en prison, contrairement aux inspecteurs-la-Bavure)… parce que Sainte-Lucie n’a pas aboli la peine de mort et qu’une erreur judiciaire est vite arrivée. Parce que j’aurais eu neuf chances sur dix d’y naître créole, et cent pour cent des chances de subir mon procès en anglais ; parce que la pauvreté généralisée est en train d’éliminer le perroquet saint-lucien (l’amazona versicolor) et d’arracher tout le couvert végétal de l’île. Parce que j’aurais peur d’être un Saint-Lucien nommé Bouchard, et de tomber amoureux d’une Saint-Lucienne nommée Robillard.  Horresco referens ! 

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre à Sainte Lucie

Parce qu’un pays successivement peuplé d’Arawaks, de Caraïbes, d’Espagnols, de Hollandais, d’Anglais, de Français, d’esclaves africains  (dont les descendants composent aujourd’hui 90 % de la population), et de travailleurs indiens qui ont immigré en masse après l’abolition de l’esclavage, doit avoir une belle histoire à raconter; parce que 140 ans d’occupation française ont aussi laissé de jolies traces, notamment dans les patronymes, dans l’architecture et dans la langue créole dominante (Anglais et Français se sont enlevé mutuellement Sainte-Lucie pas moins de 14 fois avant que Napoléon ne la cède définitivement à ses rivaux en 1814) ; parce qu’un pays de 160 000 habitants qui a déjà produit un prix Nobel d’économie (Sir W. Arthur Lewis), un prix Nobel de Littérature (Derek Walcott) et une impératrice française (Joséphine de Beauharnais), doit avoir quelque formidable prédisposition au talent. Parce qu’un gouvernement qui reconnaît que ses enfants son quatre fois plus abusés qu’il y a cinq ans cinq ans est plus près d’agir que s’il niait toutes ces réalités. Parce que ce n’est pas si mal, après tout, d’avoir les épaules dans les Antilles, et les pieds dans l’Atlantique.

 

J’aimerais être né à Sainte-Lucie pour être fier d’être Saint-lucien.   

 

 

 

Photo LMEA Piton Sainte-Lucie 1989

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE À MONACO

Monaco est le second plus petit État du monde après le Vatican, et le deuxième plus riche du monde per capita, après le Vatican. Il est dirigé par le Prince Rainier, de la famille des Grimaldi, aux lointaines origines génoises.

 

Monaco se trouve tout au sud-est de la France, il est bordé à l’est par Roquebrune, au nord par Beausoleil et à l’ouest par Cap d’Ail.  L’hospitalité de ses habitants et la disponibilité de ses terres en font un lieu de colonisation apprécié de tous les gitans de la terre. 

 

Je plaisante. 

Je plaisante.  Le prix des loyers et son statut de paradis fiscal en font plutôt le plus grand parc de Rolls Royce et de Ferrari au monde. Son Grand Prix de Formule 1 précède celui de Montréal, quand il y a un Grand Prix à Montréal.  Sa population est composée de Monégasques normaux, comme mon ami Marc qui est chauffeur de limousines et qui vit de 56 combines, mais aussi de milliardaires anglais, de nouveaux riches russes et d’Italiens qui se ruinent au Casino.  Sa richesse en fait le Plateau Mont-Royal de la Côte d’Azur.  Son économie tourne autour du tourisme, lequel est attiré par les deux casinos de la ville, celui, Belle Époque, de Monte-Carlo et celui, style Valéry Giscard d’Estaing, du Grand Hôtel. Comment faire pour quitter Monaco avec une petite fortune ?  Il faut d’abord arriver à Monaco avec une énorme fortune. 

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre à Monaco

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec.  Parce que je n’aime pas jouer au casino. Mais aussi parce que Monaco, qui est située sur un site splendide et stratégique quand on aime, comme moi, la proximité de l’Italie et la vue sur la Méditerranée, est beaucoup trop développée et a perdu sa belle cohésion architecturale dans le développement débridé des cinquante dernières années.  À quatre heures de l’après-midi, une immense tache d’ombre envahit la plage quand le soleil passe derrière un immeuble massif de 30 étages en béton armé, sans le moindre charme… Je ne voudrais pas être Monégasque et habiller mes enfants de Baby Dior dès la naissance.  Je ne voudrais pas vivre à Monaco et être obligé de prendre ma voiture pour donner à mes chiens la liberté de marcher dans l’herbe.  Je ne voudrais pas vivre à Monaco parce qu’il semble que toute la culture de la ville ne repose que sur la valeur de l’argent, bon ou mauvais. Parce que c’est un paradis superficiel et surpeuplé, livré au développement anarchique, à la triste image que la Côte d’Azur a prise au cours du dernier siècle. 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre à Monaco

Parce que la plaque minéralogique monégasque est la seule en Europe qui ait de jolies couleurs, comme celle du Wisconsin ou de la Colombie-Britannique.  Parce que les Monégasques de naissance ont généralement accès à un parking souterrain. Parce que Monaco se trouve à proximité de l’Italie et qu’elle a une vue sur la mer, quand on n’a pas une vue sur l’immeuble en béton de trente étages.  Parce que mon ami milanais Vittorio vient à Monaco toutes les deux semaines, et qu’il est vachement drôle.  Parce que des Italiens magnifiques y ont élu domicile.  Parce que c’est amusant d’avoir un appartement à Monaco, un autre à Paris, un autre à Rome, un autre à New York, un autre à Los Angeles, et qu’une Rolls Royce est une voiture qu’on peut garder longtemps.

 

J’aimerais être né à Monaco pour être fier de ma voiture, de mon appartement à Paris, celui de Rome et celui de New York…

 

 

 

Photo LMEA Jeux de plage, Monaco 2003

 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE À DJIBOUTI

Superficie comparable à la Bretagne et au Massachusetts.  Djibouti se trouve juste au-dessus de la corne de l’Afrique, entre la Somalie, l’Érythrée et l’Éthiopie, dont elle constitue le débouché maritime.  Il y a 500 000 Djiboutiens,  qui se partagent 4 langues officielles : le français, l’arabe, l’afar et le somali.  La capitale, Djibouti, compte 300 000 habitants, les autres sont surtout des nomades promenant leur bétail sur une terre extraordinairement chaude et aride, berceau de l’humanité, où s’observe en direct l’histoire géologique du monde.

 

Si le passe-temps favori des résidents de la 138 est de regarder passer les autos, les Djiboutiens, eux, regardent passer les bateaux : le détroit de Bab el-Mandeb, qui sépare Djibouti du Yémen, fait passer la mer rouge dans le golfe d’Aden, et avec elle tous les navires en route vers l’Asie qui arrivent du canal de Suez.  C’est l’une des routes maritimes les plus fréquentées du monde. 

 

Djibouti indépendante

Le territoire français des Issas et des Afars était une colonie française jusqu’en 1977, date de l’indépendance de la République de Djibouti. Claude François, Jacques Brel et Elvis n’auront pas connu Djibouti indépendante…

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre à Djibouti

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec. Mais aussi parce que Djibouti est fortement dépendante de l’aide internationale avec la moitié de sa population vivant en dessous du niveau de la pauvreté, ce qui est bien relatif quand on est nomade et qu’on vit loin des statistiques.  Parce que Djibouti manque d’eau potable, qu’elle n’a rien à cultiver et que le désert est en train d’avaler tout le pays.  Parce qu’en termes économiques, Djibouti, qui est plus que sa capitale, n’est qu’un port de transit pour les navires étrangers, une gare pour les Éthiopiens,  et une base militaire pour les Français.  Parce que le film Beau travail de Claire Denis nous enlève l’envie d’être ou bien légionnaire français ou bien prostituée mineure dans ce coin de la terre qui s’apparente plus à la lune.  Parce que le Club Med a failli s’y installer en 1992, mais que la guerre civile entre Éthiopiens et Érythréens, entre Issas et Afars, entre Yéménites et Yéménites, entre Somaliens et Somaliens, et avec Ben Laden qui n’est jamais bien loin, l’en ont dissuadé.  Heureusement. 

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre à Djibouti

Parce que le Club Med, qui a failli s’y installer en 1992, a finalement plié bagages.  Parce que le commandant Cousteau venait y mouiller pour observer les requins poussés par les forts courants marins.  Parce que Djibouti est le berceau de l’humanité.  Parce que les nomades ne se cassent pas la tête avec les rabais sur les interurbains et la possibilité d’avoir encore plus de chaînes d’info-pub sur le nouveau plan d’abonnement au câble.  Parce que Djibouti voit passer les bateaux et qu’avec un peu de chance, comme disait à Astérix le serveur du restaurant sur la char-o-voie, on peut voir un accident de temps en temps.  Parce que le désert est le plus bel endroit du monde avec son silence et ses teintes subtiles.  Parce que les Djiboutiens, comme tous les peuples qui ont été foulés par le monde entier, n’en conçoivent qu’un plus grand sens de l’hospitalité.  Parce que la guerre est presque terminée entre Éthiopiens et Érythréens, entre Issas et Afars, entre Yéménites et Yéménites, entre Somaliens et Somaliens, et que ce monde accroché à la corne de l’Afrique, carrefour de l’Europe et de l’Asie,  reste à inventer et à construire. 

 

J’aimerais être Djiboutien pour être fier d’être Djiboutien

 

 

NAÎTRE, GRANDIR ET VIVRE EN FRANCE

La France est en forme de France, mais les Français l’appellent l’hexagone.  Dans le film Que la fête commence, le Régent Philippe Noiret s’amuse de la « carte de France » laissée par le jeune roi dans ses draps royaux. 

 

La France est bordée par le Soleil, Mercure et Vénus au sud, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton au nord. 

 

Un pays béni

Les Français aiment la ripaille, les femmes, le foot (quand ils gagnent), les livres de Michel Houellebecq et Linda Lemay.  Ils sont 60 millions, dont aucun n’a le droit de porter le voile islamique à l’école. La France est l’inventeur du papier tue-mouches et de la carte à puces.  C’est un pays béni par sa situation géographique, par la diversité de ses paysages, par l’inventivité de ses populations, par la variété de ses fromages.  La capitale est Paris, qui se trouve quelque part entre Saint-Nom-la-Bretèche et Choisy-le-Sec.

 

Pourquoi je ne voudrais pas naître, grandir et vivre en France

D’abord, parce que je suis bien content d’être né au Québec.  Mais aussi parce que je ne voudrais pas avoir à demander un visa pour aller aux États-Unis. Je suis content de ne pas être né et avoir grandi en France parce que j’aime ce pays, et je ne voudrais pas en médire.  Parce qu’il y a trop de choses à y voir et qu’un mur blanc, comme disait Clémence Desrochers, c’est reposant de temps en temps.  Parce que je suis content de me débrouiller en anglais, même si je revendique mon amour de la langue française.  Parce que les routes nationales et départementales sont trop dangereuses, et que je redoute le jour où mon enfant réclamera sa première moto. Parce que les Français,  choyés par tant de vertus, par tant d’élans de génie, par tant de beautés naturelles, se plaignent trop souvent de la France. Parce que le colonialisme français trouve encore trop de nostalgiques, quand ils ne le pratiquement pas tout simplement, parfois inconsciemment.  Parce que la France est le pays le plus visité par les touristes étrangers et qu’il est livré à une spéculation qui lui vole son âme.   Parce que la France, qui a courageusement ouvert ses frontières aux demandeurs d’asile, est aux prises avec de gros problèmes d’intégration. Parce que le monde entier est raciste envers les Français…

 

Pourquoi je voudrais naître, grandir et vivre en France

Parce que c’est le pays qui toujours trouve les solutions les plus généreuses aux problèmes du monde.  Parce que c’est le pays des symboles et que les symboles, c’est réconfortant comme une messe de minuit même quand on est athée. Parce que c’est la terre d’asile préférée des plus grands artistes incompris ou persécutés.  Parce que c’est la proximité de tous les climats, sauf celui du Québec.  J’aurais voulu être le compositeur pistonné du décompte musical de l’émission Des Chiffres et des Lettres pendant que le concurrent réfléchit à sa combinaison, et me la couler douce pendant quarante ans en touchant mes droits d’auteur tranquille peinard.  J’aurais aimé naître en France et chanter ma Bourgogne natale, mon Auvergne natale, mes Pyrénées natales, et célébrer autant de régions aux identités aussi marquées, servies par des décors toujours plus impressionnants.  Parce que les Français ont une culture qui leur donne des clés pour toutes les autres cultures du monde.  Parce qu’ils sont éduqués dans la connaissance de leur pays et que n’importe quel Français est capable de différencier un bougainvillier d’une épinette noire.  Parce que les Français ont une merveilleuse propension à l’auto-dérision. Parce que naître et grandir en France, ça veut dire qu’on n’a plus à se demander comment on réussira à payer son prochain voyage en France. 

 

J’aurais voulu être né en Albanie pour être fier d’être Français.

 

 

Photo LMEA Le bon gras...France 1989

 

 

 

ANTHROPOLOGIE MÉDICALE

Marcher pieds nus

2003

 

Par Jean-Francois Chicoine, pédiatre

Le monde est ailleurs

Abandon, adoption, Autres mondes 2003

Adapté de Locus Movere, Le médecin du Québec, 1999

 

Marcher.  Marcher pieds nus toute sa vie, mais se faire enterrer avec ses souliers.  Telle est du moins l'étrange coutume des Dogons du Mali, une fascinante ethnie d'Afrique de l'Ouest, dont les croyances et la manière de vivre ont plus d'une fois piqué l'intérêt de nombreux chercheurs et ethnologues.

 

 

En touchant la terre, le jour de la création du monde, l'ancêtre céleste des Dogons se serait brisé les membres, créant du même coup les articulations du coude et du genou afin de mieux faciliter les travaux agricoles de ses descendants terrestres.  Au terme d'une vie enrichie par le labeur, la famille, le village et une remarquable cosmogonie, la coutume veut que le défunt puisse enfin entreprendre son voyage au pays des ancêtres avec ses chaussures aux pieds ou posées à ses côtés sur le brancard funèbre.  Curieux tout de même d'être enterré avec des sandales de fortune faites de cuir de boeuf ou de vieux pneus de voiture après avoir foulé une bonne partie de sa vie des falaises rocheuses et rugueuses vêtu du plus simple apparat de la semelle, c'est-à-dire pieds nus dans l'aube africaine.

 

Que penserait par ailleurs le Dogon de notre coutume, non moins bizarre, de chausser nos bébés à peine sortis du ventre de leur mère? Jugerait-il que nous forçons leur trépas? 

 

On sait qu'un enfant peut très bien apprendre à ramper, à marcher puis à courir sans l'aide un tantinet carcérale d'une paire de chaussures.  Marcher pieds nus peut même accroître la force de préhension de ses orteils et développer la force musculaire de ses chevilles à l'arcade plantaire  pourvu que la surface soit assez lisse, pas trop froide et à l'abri des échardes et des intempéries.  Porter des chaussures, comme le veut notre tribu, peut naturellement s'avérer commode ou rassurant pour des parents anxieux, mais ne fera rien pour corriger les jambes arquées par en dedans ou par en dehors; ne fera rien non plus pour le problème des pieds plats qui n'en est pas un pendant les premières années de la vie ou encore pour les quelques mois supplémentaires que bébé se sera alloué pour apprendre à marcher, des mois qui lui reviennent de plein droit. 

 

Les premiers pas, c'est dans la tête que ça se passe, pas dans les pieds.  Avec ou sans souliers.  Pour la vie... jusqu'à la mort.  Ou l'inverse, selon la marche à suivre du Dogon. 

 

Ce cher Dogon.

 

SOURCES

 

Beaudoin G : Les dogons du mali.  Collections civilisations Armand Collin, Paris 1984.

Comité des services aux membres et de la pratique pédiatrique: Chaussures pour enfants.  Société canadienne de pédiatrie,  1988-1989.

Weiss j: Shoes for toddlers.  Well-child care, 1982. 67-68.

Staheli It: Shoes for children: a review.  Pediatrics, août 1991, 88(2).

 

 

 

 

 

Photo LMEA Enfants à Alger, Algérie, 1967

 

 

 

 

Photo LMEA Écoliers à Séoul, Corée, 1988

 

 

 

 

Photo LMEA Enfants À Sept-Iles, Québec 2001

 

 

 

 

Photo LMEA/Francois Beauchemin, Enfant au sourire, Cote d'Ivoire, 2001

 

 

 

 

Photo Claude Dolbec/LMEA Chaud-froid, Republique Dominicaine, 2002

 

 

 

 

 

Dernière révision: Janvier 2014

 

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